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CH. SECRÉTAN. — évolution et liberté

difficulté sans la résoudre ; il est clair que les premières matières organiques procèdent du règne minéral par des combinaisons chimiques dont nous n’avons pas le secret. Ces combinaisons se continuent-elles encore dans la profondeur des mers, je n’en sais rien, et, pour intéressant que soit le problème, il n’a pas de rapport à la question qui nous occupe.

De la matière organique ou assimilante, passons à la sensation. Nous ne trouvons absolument aucun moyen de faire entendre ou pressentir comment un mouvement, mouvement de masse ou mouvement moléculaire, déplacement ou vibration, il n’importe, comment un mouvement quelconque peut devenir une sensation ; l’âme et le corps ne sont pas séparés par une barrière moins infranchissable pour celui qui ne voit dans ces mots qu’une façon de désigner deux groupes de phénomènes appartenant à la même substance et constamment corrélatifs que pour le sectateur attardé du dualisme métaphysique le plus prononcé. Nulle route venant du dehors ne nous conduit dans l’intérieur de l’être. Néanmoins, si, conformément au langage de la science courante, on n’entend sous le nom de cause d’un phénomène que son antécédent suffisant et obligé, il faudra bien dire que les modifications de structure sont la cause de la sensation dans les agrégats où nous croyons la voir paraître, puisque la sensation accompagne constamment ces modifications de structure et ne se produit qu’avec elles. Et ce que nous disons de la sensation, il faut le dire également du jugement, du raisonnement, du désir, de la résolution. Quelles que soient les circonstances déterminantes de certaines modifications cérébrales, elles seront accompagnées de ces phénomènes psychologiques, et quelles que soient les circonstances déterminantes de ces phénomènes psychologiques, ils se produiront simultanément avec ces modifications cérébrales. Ainsi une certaine structure étant donnée avec une certaine mobilité des molécules, l’âme apparaît. Et quant à la succession des espèces, qui a fait l’objet principal des inductions et des spéculations de Lamarck et de Darwin, si la représentation évolutioniste ne s’impose pas avec nécessité, elle est du moins de beaucoup la plus probable. En effet, le type d’une espèce quelconque a paru sur un point de la terre dans un moment donné ; cela est certain. Eh ! bien, est-ce à l’état adulte qu’il s’est produit la première fois ? Le chêne portait-il, à l’instant de sa venue, un nombre donné des circonvolutions qui marquent le dépôt annuel de substance ligneuse autour de l’axe de son tronc ? Cette supposition de Chateaubriand est inadmissible ; un organisme individuel est le produit de son histoire, la production de cet organisme ne peut être conçue que comme la production de