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DUNAN. — les théories métaphysiques

indéfiniment multiples qui le composent. C’est dire que nulle part nous ne rencontrons l’unité fixe et déterminée qui, par sa répétition pourrait servir à constituer la résistance totale du corps lui-même, Cette résistance totale est donc un composé sans composants, ce qui est absurde.

Si l’on adopte la seconde supposition, si l’on pense par conséquent que le corps tout entier ne résiste pas autrement que pourrait le faire un de ses éléments, fragment plus ou moins gros, ou simple molécule, c’est qu’on est convaincu que la résistance est indépendante de la masse ; et alors, toujours en raison de la divisibilité des corps à l’infini, on se trouve dans l’impossibilité de déterminer quel est l’élément ultime dans lequel réside définitivement ce pouvoir de résister qui caractérise à la fois et le corps entier et ses parties ; de sorte que ce pouvoir ne peut plus résider nulle part, et ne peut à aucun titre être dit appartenir au corps. Ainsi, dans la première hypothèse, la résistance limitée du corps devait être un agrégat, mais c’était un agrégat dont il était impossible de retrouver les parties constitutives ; dans la seconde hypothèse, c’est un tout indivisible, mais un tout que l’on ne peut pas distribuer dans le corps auquel il doit appartenir, précisément parce que dans ce corps indéfiniment divisible, les éléments ultimes, conditions d’une distribution réelle, font défaut.

La contradiction que nous avons signalée demeure donc entière, quelle que soit la façon dont les réalistes voudront entendre la distribution de la résistance au sein des corps.

V

La théorie réaliste que nous venons d’examiner avait pour objet d’établir, non pas peut-être que nous prenons dans la sensation une intuition et une constatation immédiate d’un quelque chose qui existe en soi et indépendamment de la représentation, mais que nous sommes autorisés par la raison à conclure à l’existence de cet absolu, dont au reste la sensation nous fait connaître, dit-on, un attribut essentiel, la résistance. Il en est une autre d’après laquelle la sensation demeurerait de tout point subjective et relative, incapable par conséquent de nous révéler quoi que ce soit sur les attributs réels des choses en soi ; de sorte que nous serions réduits à affirmer l’existence de ces principes absolus sans pouvoir en aucune façon déterminer leur nature. Le type de ce genre de réalisme, c’est celui de Kant, avec sa théorie du noumène inconnaissable.

On a élevé contre le noumène de Kant des objections sans nombre, parmi lesquelles celle-ci surtout a paru grave et a été maintes fois