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ANALYSES.j. royce. The religious aspect of philosophy.

un but commun et dépensent tout leur temps, toutes leurs pensées, toute leur activité à la réalisation de ce but universel. Ils n’auront plus à se préoccuper de leur vie particulière et à se demander séparément s’ils sont heureux, car ils n’auront plus de volontés individuelles, mais la volonté universelle agira en eux et par eux ». Quant à savoir ce que sera à ce moment l’œuvre de l’humanité, cela nous est impossible, Nous pouvons nous proposer la tâche de découvrir des manières d’agir des formes de la conduite qui tendent à organiser la vie, mais nous ne pouvons prévoir l’organisation complète.

M. Royce termine ici la première partie de son ouvrage, celle où il a pour but la recherche d’un idéal moral. Il y déploie un talent remarquable dont l’analyse que j’ai faite ne peut donner une idée suffisante. Peut-on dire qu’il ait atteint son but ? Sans doute l’idéal qu’il nous propose, l’harmonie, l’organisation de la vie, la fusion des volontés individuelles dans une volonté universelle, est tout à fait acceptable, bien que, peut-être, on puisse l’entendre d’une manière un peu différente ; mais que devons-nous penser du moyen employé pour arriver à cet idéal et quelle valeur donne-t-il à l’idéal trouvé ? Voici l’objection que je serais tenté, pour mon compte, de faire à M. Royce et le résultat que je tirerais de l’analyse du doute moral.

Je ne puis pas admettre absolument que le doute moral consiste à vouloir à la fois toutes les fins morales représentées, ou, tout au moins, car il y a quelque chose de vrai dans cette proposition, je ne puis considérer le fait et l’interpréter comme M. Royce. Je présenterai d’abord, pour rendre mon idée claire, des exemples familiers. Je suppose que j’hésite entre deux actions différentes quelconques, par exemple, aller faire une promenade ou rester à travailler. Sans doute, s’il n’est pas tout à fait exact de dire que je veux les deux actions à la fois, il est impossible de ne pas reconnaître que j’ai à la fois une tendance à vouloir l’un et l’autre des deux actes. Je suis dans un état d’indécision qui peut être abstraitement considéré comme pareil à celui du sceptique hésitant entre les divers systèmes de morale. Si je me représente les raisons pour et contre chaque terme de l’alternative, je ne fais en somme qu’une chose, j’éprouve le degré de convenance de chaque terme avec mes idées ordinaires, mes penchants naturels, mes besoins, mes tendances, etc., avec tous les phénomènes et toutes les lois qui composent mon être, en tant qu’ils se manifestent actuellement. Mon choix sera alors déterminé par la convenance plus ou moins grande de l’un ou de l’autre parti avec mes goûts ou mes besoins, permanents ou momentanés, conscients ou inconscients. Considérons maintenant le cas du sceptique et mettons-nous à sa place. Nous hésitons entre plusieurs systèmes de morale, et nous avons une tendance à vouloir à la fois plusieurs fins. Il ne s’ensuit pas de là que nous voulions réellement réaliser à la fois toutes ces fins, mais nous mettons toutes ces fins en relation avec les phénomènes et les lois qui constituent notre être. Ce n’est pas l’harmonie dans les fins que nous cherchons à réaliser, c’est l’harmonie en nous,