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ANALYSES.j. royce. The religious aspect of philosophy.

sens ordinaire. L’homme, à mon avis, est obligé de réaliser l’harmonie la plus possible comme un animal quelconque y est également obligé par rapport à sa sphère d’action particulière. L’homme doit être juste, par exemple, comme le chien d’arrêt doit chasser le mieux possible la caille ou le perdreau. L’obligation ainsi entendue est tout à fait indépendante du libre arbitre. Je ne puis m’engager ici dans ce sujet de la nature et de la portée de l’obligation morale, je me borne à faire remarquer que cette obligation ne pourrait avoir en bien des cas, aucune efficacité pratique. Elle reste un idéal que l’on réalise plus ou moins. En fait chacun s’organise comme il peut et l’harmonie des uns se réalise en troublant l’harmonie des autres, je crois qu’on n’aurait pas grand’chose à objecter à l’homme qui dirait : « Votre harmonie universelle est peut-être très belle, mais j’aime mieux suivre mon plaisir égoïste. Comment prouver à cet homme que son devoir est d’agir autrement. Nous pouvons peut-être arriver à lui prouver que notre idéal est supérieur au point de vue du bien de la société en général, ou de la grandeur abstraite de la conception, mais comment en montrant l’idéal donnerons-nous à cet idéal une valeur qui fasse sentir le devoir de le réaliser ? C’est là ce qu’on a coutume de regarder comme un des points importants d’une morale théorique. Je pense, quant à moi, au contraire, que cette question, théoriquement, importe très peu, et je n’insiste pas. Mais il faut bien définir en quoi consiste la supériorité d’un idéal sur les autres : il consisterait ici dans le degré supérieur d’abstraction et de généralité et de synthèse.

La religion, comme M. Royce l’entend, exige davantage. Elle demande que quelque chose, dans la nature, réponde à notre idéal moral. Il faut donc chercher une vérité religieuse qui vienne en aide à l’idéal moral. C’est cette recherche qui remplit la deuxième partie du livre de M. Royce. Je développerais moins l’analyse de cette partie qui ne me semble pas tout à fait à la hauteur de la première. L’auteur y fait preuve des mêmes qualités, mais il ne me paraît pas critiquer suffisamment ses propres solutions et voir les objections graves qu’on peut lui adresser. Sa méthode est analogue à celle qu’il a suivie dans la première partie. C’est encare du doute que la vérité religieuse va sortir comme la vérité morale en est sortie déjà. Nous trouvons cette solution développée dans un très beau chapitre intitulé la Possibilité de l’erreur, où l’ingéniosité des arguments et l’ampleur de la discussion sont malheureusement supérieurs, à ce qu’il me semble, à la solidité des preuves.

Nous essayons de douter de tout, nous examinons tous les systèmes qu’on nous propose, aucun ne nous satisfait. Examinons notre doute. Notre doute le plus fort suppose une chose, c’est que l’erreur est possible. Et ainsi notre doute le plus fort suppose l’existence actuelle de ces conditions qui font que l’erreur est possible. Les conditions qui déterminent la possibilité logique de l’erreur, doivent être elles-