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aux lignes ; on peut se demander si cette définition est adéquate à la notion du continu telle que nous la possédons de fait (acquise a posteriori), pour les lignes et les surfaces.

Or, la réponse à cette question doit être négative ; il faut encore particulariser la conception obtenue et y ajouter de nouvelles spécifications, non pas à la vérité pour la ligne droite, mais au moins pour les lignes et surfaces courbes.

Je veux dire que le concept de la ligne courbe, dans un plan par exemple, n’est pas suffisamment déterminé par celui d’un système de points continu, dont l’ordonnée varie continûment en fonction de l’abscisse.

Ce dernier concept, constitué à la suite de l’invention de la géométrie analytique par Descartes, a de fait, jusqu’à ces derniers temps, été regardé comme correspondant exactement à celui de la ligne courbe. Mais si l’on approfondit ce dernier, il est facile de reconnaître qu’il contient deux éléments essentiels.

Nous concevons d’une part toute courbe comme ayant une tangente en chacun de ses points ; si nous considérons un polygone inscrit dans la courbe et dont on augmente indéfiniment le nombre des côtés, nous considérons les directions de ces côtés et aussi leur somme comme tendant vers des limites déterminées, les directions des tangentes et la longueur de la courbe ; nous nous formons d’ailleurs pratiquement une notion approximative suffisamment exacte de la valeur de ces limites en prenant un nombre de sommets relativement restreint pour le polygone inscrit ; nous n’avons aucun scrupule à mener graphiquement une tangente à des courbes qui ne sont pas définies mathématiquement, pas plus qu’à évaluer approximativement leur longueur.

D’autre part, nous regardons la direction des tangentes comme variant continûment ; la rapidité de cette variation mesure ce que nous appelons précisément la courbure, et nous regardons donc cette courbure comme ayant en chaque point une valeur finie et déterminée, abstraction faite des points singuliers.

Or, on a reconnu dès longtemps que l’existence des tangentes et de la courbure conditionne mathématiquement l’existence de ce qu’on appelle les dérivées première et seconde de la fonction liant l’ordonnée à l’abscisse ; le concept de courbe comme système de points liés par une relation continue entre l’ordonnée et l’abscisse, supposait donc implicitement que pour toute fonction continue, il y a une dérivée première, et aussi une dérivée seconde, et de fait, cette hypothèse a, jusqu’à ces derniers temps, été admise comme rigoureusement exacte.