Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
405
TANNERY. — le concept scientifique du continu

Mais on est récemment arrivé, en employant des séries trigonométriques convergentes, à construire des fonctions continues n’ayant pas de dérivées. Ces fonctions établies entre une ordonnée et une abscisse, représentent encore des systèmes continus de points, dont il est à la vérité difficile de se faire une idée représentant leur marche à l’imagination, mais on ne peut plus dire qu’elles représentent des courbes.

Si l’on dit qu’à toute valeur de l’abscisse correspond une valeur déterminée (unique si l’on veut), de l’ordonnée, que l’on peut d’ailleurs prendre deux abscisses assez voisines pour que la différence des ordonnées correspondantes soit plus petite que toute quantité donnée, qu’enfin on peut, entre certaines limites au moins, assigner une valeur quelconque à l’ordonnée pour en déduire une ou plusieurs valeurs déterminées de l’abscisse, on sera pourtant bien tenté de se figurer le système de points en question sous les formes d’une courbe jouissant des propriétés générales dont nous avons parlé. On aurait tort ; si l’on construit un certain nombre de points, et qu’on les joigne par des droites, qu’on cherche ensuite des points intermédiaires et ainsi de suite, loin de se rapprocher de plus en plus du côté du polygone inscrit, et surtout de finir par rester d’un seul et même côté, les nouveaux points trouvés des systèmes indiqueront des sinuosités allant toujours en s’accentuant de plus en plus, jusqu’à ce que l’on désespère d’arriver à épouser complètement la forme du système.

Ainsi, si la définition du continu en soi d’après M. Georg Cantor, suffit pour la construction logique de la variation continue de l’abscisse (en ligne droite), la définition du continu de relation (de la fonction) telle qu’elle a été constituée depuis longtemps, ne suffit pas pour arriver à la construction logique de la courbe ; il faut y ajouter des conditions relatives à l’existence de dérivées première et seconde.

Pour les surfaces, on était arrivé depuis longtemps à une conclusion analogue, en construisant des systèmes de courbes présentant de l’une à l’autre une certaine continuité, qui néanmoins ne forment pas une surface.

Les mathématiques obtiennent donc en opérant sur les éléments qu’elles mettent en œuvre, des combinaisons qui dépassent singulièrement, comme nombre et comme complexité, celles que paraît nous offrir la réalité objective. Il n’y a certainement dans ce fait incontestable rien qui puisse trancher la question d’origine empirique ou non de ces éléments ; mais la théorie de la connaissance ne peut négliger ce fait, dont elle a à rendre compte, au moins dans une cer-