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a cherché et trouvé par lui-même, tout en faisant son profit des travaux allemands contemporains. Car pendant que la graphologie restait chez nous une sorte de jeu de société, elle était prise au sérieux chez nos voisins et à l’heure qu’il est, elle compte, paraît-il, au delà du Rhin nombre d’adeptes et de maîtres. M. Schwiediand, de Vienne, serait, au témoignage de M. Crépieux-Jamin, le chef d’école le plus justement renommé. À lui et à son élève, M. Langenbruch, on doit, dit-il, les travaux les plus importants, « les plus belles découvertes graphologiques ».

C’est pourtant en France que l’étude des caractères d’après les écritures semble avoir, sinon pris naissance, au moins trouvé les premiers croyants qui lui ont donné quelque consistance. Elle était en germe dans une page de Lavater, qui lui-même avait eu ses devanciers et s’était d’ailleurs borné à des indications à peine plus précises que les leurs. Des prêtres français, M. Boudinet, évêque d’Amiens, surtout l’abbé Flandrin, aumônier de l’École normale, s’avisèrent les premiers de cultiver ce passe-temps avec une certaine suite, en y apportant une curiosité patiente, un réel esprit d’observation. L’abbé Michon, à qui la graphologie doit son nom et de nombreux travaux (beaucoup trop nombreux et faits trop vite, de l’avis même de ses élèves), reçut de l’abbé Flandrin les notions qui furent son point de départ. Depuis lors, il est vrai, ce qui avait été l’objet de la faveur des ecclésiastiques est plutôt tenu par eux en suspicion. Le mauvais renom de l’auteur du Maudit au point de vue de l’orthodoxie religieuse a rejailli sur l’étude inoffensive dont il avait fait sa province. Peut-être aussi les plus tolérants ont-ils trouvé un peu bruyant le zèle qu’il déployait pour ce nouvel apostolat tout profane, un peu légère sa méthode, excessive sa fécondité, indiscret son goût de la publicité. Quoi qu’il en soit, la discorde après lui s’est mise dans le camp de ses disciples ; et M. Crépieux-Jamin ne peut que déplorer l’état stationnaire de la graphologie en France. S’il faut l’en croire, c’est en Russie aujourd’hui qu’elle est le plus populaire, en Suisse et dans les pays allemands qu’elle est le plus gravement cultivée.

Les lecteurs de cette Revue, dont la plupart sans doute ne sont point initiés à cette « science », n’attendent pas ici un compte rendu minutieux du Traité de M. Crépieux-Jamin. Ceux qui se sentent du goût ou seulement quelque curiosité pour ces questions doivent le lire et n’y auront pas regret : c’est un exposé consciencieux et complet de la matière. L’auteur nous permettra aussi de ne point relever particulièrement ni apprécier séparément ce qui, dans son œuvre, lui est propre la compétence nous fait défaut pour cela. Il nous suffira de dire qu’entre ce qu’il emprunte et ce qu’il croit avoir personnellement découvert, lui-même a fait le départ avec une modestie mélangée de fierté, qui donne toute confiance. Nous voudrions seulement, après avoir rendu hommage à la manière dont il expose son sujet, présenter quelques observations générales sur la graphologie elle-même,