Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/549

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
545
ANALYSES. bradley. The principles of Logic.

sur un fait. — À cette théorie Herbart oppose, entre autres difficultés : Dans ce jugement : « Un cercle carré est impossible », il n’y a pas de fait affirmé. — Bradley répond : La réalité que j’affirme n’est pas celle du sujet grammatical, c’est celle du sujet réel, or, ce sujet réel est ici la nature de l’espace qui ne permet pas de construire un cercle carré. — Herbart dit encore : Ou trouver un fait dans ce jugement : « La colère des dieux d’Homère est terrible ? » — Bradley répond la réalité est ici Homère ou, si Homère n’a pas existé, les poèmes qui existent sous son nom. Ainsi, quoi que ce soit que nous disions, nous le disons de quelque chose, d’une chose qui existe en dehors du jugement.

En niant que le jugement affirme un fait, Herbart soulevait non une difficulté grammaticale, mais une difficulté sur les rapports de la vérité et des idées. Si l’on admet en effet que le jugement est l’union de deux idées et que la vérité est la même chose que le fait, on verra bientôt que nous ne pouvons nous flatter d’exprimer aucun jugement qui soit vrai. L’idée en effet diffère profondément de la réalité. Le fait est individuel, l’idée est universelle ; le fait est substantiel, l’idée adjective ; le fait existe en lui-même, l’idée n’est que symbolique. La conclusion est que, si la vérité réside dans les idées, cette vérité ne peut être un fait et que le fait ne peut être vrai. D’où il suit que tout jugement est hypothétique. En affirmant que S est P, je n’affirme point la réalité de S, ni celle de P, ni même celle de leur union, j’affirme simplement que si je suppose S, je pourrai affirmer que S est P, et en ela seul consiste la vérité du jugement.

Mais nous savons que Bradley n’admet pas que le jugement soit constitué par une synthèse d’idées, par conséquent il ne saurait admettre les conséquences que tire Herbart de cette prémisse. Il reconnaît cependant que le réel n’existe pas dans l’idée, que le réel est un individu, tandis que l’idée ne peut pas être individuelle ? — Mais ne pouvons-nous pas former l’individu avec des universaux ? Les plus grandes réalités ne sont-elles pas celles qui subsistent en plusieurs moments du temps ou en plusieurs points de l’espace ? — Si nous ne le pouvons pas, comme ta vérité n’est que dans l’idée universelle, et que la réalité n’est que dans le fait individuel, nous ne pouvons dire d’aucune vérité qu’elle est réelle, ni d’aucune réalité qu’elle est vraie, et tous nos jugements ne seront que des jugements hypothétiques. Examinons s’il en est ainsi.

L’auteur distingue deux sortes de jugements catégoriques : les universels et les singuliers. On peut diviser ceux-ci en trois classes : 1o Ceux dans lesquels nous exprimons tout ou partie d’une perception présente, Ex. : J’ai mal à la tête ; ceci est un loup. Comme on n’y fait qu’analyser le donné on peut les nommer : Jugements analytiques de la sensation ; 2o ceux qui posent un fait du temps ou de l’espace sans que ce fait soit directement perçu. Ex. : Cette route mène à Londres ; il a plu hier. Comme ils étendent le donné par une construction idéale et qu’ils renferment une inférence on peut les appeler : Jugements synthétiques de la sensation ; 3o ceux qui expriment une réalité qui n’a jamais été