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sensible. Ex. : Dieu est esprit ; l’âme est une substance. On peut contester la valeur métaphysique de ces jugements, mais la logique ne peut leur refuser une place. L’auteur ne leur donne pas un nom particulier. Passons en revue ces diverses sortes de jugements.

L’auteur commence d’abord par établir que les jugements universels sont hypothétiques. Le jugement général est en effet composé d’adjectifs. Il affirme une connexion entre les éléments d’un contenu, mais l’existence réelle de ce contenu reste en Suspens. Ex. : Tous les triangles équilatéraux sont équiangles ; tous les mammifères ont le sang chaud, cela veut dire que, à supposer qu’il y ait des triangles équilatéraux, ces triangles seront équiangles ; à supposer qu’il y ait des mammifères, ces animaux auront le sang chaud ; mais rien ne garantit dans le jugement même l’existence réelle du contenu. On peut remarquer ici en passant de quelle importance est cette théorie pour la critique de la preuve ontologique de l’existence de Dieu. C’est bien en effet une observation de cette nature qui est à la base de la critique kantienne.

On objecte à Bradley que le jugement hypothétique n’est lui-même qu’une espèce des jugements catégoriques, il répond que cela n’est vrai que si le jugement hypothétique peut se ramener à un singulier collectif, Mais il n’a pas l’air de s’apercevoir que sa théorie même du jugement, si elle est poussée plus loin qu’il ne l’a poussée, mais aussi loin qu’elle doit l’être, aboutit à poser tout jugement comme expression d’une réalité dernière qui est le moi, ce qui revient à dire que le jugement universel est l’expression d’une réalité singulière et par conséquent qu’il n’est pas en dernière analyse hypothétique, que c’est au contraire, l’hypothétique qui, en dernière analyse, est catégorique. Bradley reconnaît d’ailleurs qu’un fait est affirmé dans tout jugement, même hypothétique, à savoir la connexion des éléments du contenu idéal, mais nous ne pouvons voir là qu’une contradiction à sa thèse fondamentale. En effet, il a soutenu que le fait affirmé est une réalité extérieure au contenu idéal, qui est le vrai sujet, et il dit maintenant que le fait affirmé est la connexion entre les éléments idéaux. Quoi qu’il en soit, l’auteur affirme que, en passant du jugement singulier à l’universel, nous avons abandonné la réalité ; mais si nous avons laissé le monde réel, nous avons trouvé le monde de la science, Le but de la science est en effet la découverte des lois et la loi, jugement abstrait universel, n’est autre chose qu’un jugement hypothétique.

Les jugements singuliers, étant au contraire posés comme catégoriques, nous pouvons espérer qu’ils nous donneront une plus grande part de vérité que les jugements hypothétiques. Nous sommes cependant trompés dans notre attente. En effet, tout jugement analytique de la sensation est un X car il n’affirme qu’une partie d’une réalité complexe. La réalité X = a b c d e f g h, et nous disons X = a, ou X = a b. C’est évidemment là une erreur. Toute analyse est une altération des choses, nous ne pouvons poser pas isolée une qualité, dans son isolement cette qualité a certai-