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ANALYSES. bradley. The principles of Logic.

nement perdu quelque chose. Tel est, selon Bradley, le principe premier de toutes les erreurs de l’école de l’expérience qui ne s’appuie que sur l’analyse. Si A et B sont unis dans une relation C, on ne peut dire que A peut exister sans C ou sans B. Quelle raison avons-nous de choisir une partie de la réalité plutôt qu’une autre ? Le phénomène sensible est tout ce qu’il est, et lui enlever quelque chose de ce qu’il est, c’est l’altérer. Une fraction de la vérité enlevée la rend entièrement fausse, parce que cette fraction qui à disparu servait à qualifier le tout. Le lecteur français se souviendra sans doute que M. Taine a depuis longtemps déjà signalé ce défaut de l’école expérimentale anglaise. Le jugement analytique n’est donc pas vrai par lui-même ; s’il possède la vérité, c’est grâce à quelque chose d’extérieur à lui ; sa vérité est donc soumise à une condition, il n’est donc pas catégorique, mais hypothétique et ce jugement singulier hypothétique est inférieur en valeur au jugement universel, car dans celui-ci la relation exprimée est toujours réelle, tandis que celle qui exprime le jugement singulier peut très bien ne pas exister. — Les jugements synthétiques de la sensation enveloppant, comme nous l’avons vu, une inférence, ils se réfèrent donc à un jugement universel et par suite à une condition. Ils sont donc aussi hypothétiques.

Reste la troisième classe de jugements, ceux qui affirment quelque chose d’individuel qui n’est ni dans l’espace ni dans le temps. Ces jugements enferment-ils aussi une hypothèse cachée, ou faut-il voir la seule vérité catégorique dans des jugements de cette sorte : Le moi est réel ; les phénomènes ne sont que l’apparence que l’âme présente à l’âme ? « Nous ne pouvons répondre, dit l’auteur, mais en tout cas, si l’on nous demande où est la vérité catégorique, nous pouvons répondre : Ici ou nulle part. » — C’est bien en effet la seule conclusion à tirer de cette subtile et savante analyse, et toute une métaphysique y est contenue, à moins qu’elle ne soit inspirée peut-être par une métaphysique préconçue et cette métaphysique est celle-même que développait Fichte dans la Doctrine de la Science.

Mais l’auteur ne veut pas faire de métaphysique et il passe à l’étude du jugement négatif où il ne dit rien de bien nouveau, puis à celle du jugement disjonctif qui, d’après lui, n’a pas été compris par la plupart des logiciens. Ils ont cru que ce jugement résultait d’une combinaison d’hypothèses. Il n’en est pas ainsi, d’après Bradley ; en disant A est b ou c, on affirme de A quelque chose commun à b et à c. C’est dans la sphère de cette qualité quela disjonction est affirmée, Ainsi le jugement deviendrait un simple jugement catégorique, ou plutôt hypothétique, selon Bradley. — Il semble bien que ce ne soit là qu’une pure subtilité et il est regrettable que l’auteur se soit dispensé de donner un exemple concret qui, je le crois, aurait rendu évidente le peu de valeur de l’explication. — Bradley enfin croit que, loin que le jugement disjonctif repose, comme on le dit, sur le principe du milieu exclu, ce principe n’est au contraire lui-même qu’un cas de disjonction. Il prétend en effet que le jugement disjonctif n’a de force que par l’impuissance de notre esprit. Nous disons :