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cause déterminée et sérieuse pare aux dangers effectifs de la perpétuité, sans altérer sensiblement le caractère de l’union, moyennant que le juge du divorce ait sur les biens et sur les personnes des époux en litige un droit suffisant pour empêcher que celui qui voudrait divorcer sans titre valable puisse contraindre par ses procédés le conjoint innocent à se porter acteur dans la cause.

Ce qui, dans le mariage actuel, choque principalement la notion du droit, c’est l’obéissance. Ici la femme, placée hors de l’état qui donne la loi par le déni du suffrage, se trouve mise à peu près hors la loi par la loi même. Sa loi, c’est son époux. Dans cette condition normale de la femme, la servitude devient actuelle. Parmi les gens sans éducation, vivant du travail de leurs bras, cet esclavage est très fréquemment un supplice ; il peut le devenir dans toutes les conditions sociales. Les voisins qui arrachent aux coups d’un ivrogne une brave femme à demi-morte, n’ignorent pas que la loi même a remis cette victime au tortionnaire et que, si plainte était portée, la loi garantit à l’accusé les moyens d’en tirer vengeance au centuple, Cependant nous touchons au point où la réglementation devient impuissante : la concubine, qui peut s’en aller, n’en reçoit pas moins des horions, et les supporte, parce qu’il faut vivre. La distribution des fonctions dans le ménage tient à la nature des choses, l’autorité de fait y reste aux mains capables de l’exercer, c’est-à-dire à la volonté la plus persistante. Ainsi la femme n’est pas absolument désarmée. Dans un conseil à deux, où la décision ne peut pas être ajournée, il faut bien, semble-t-il, donner double voix à l’un des membres. Même dans les cas graves, où la décision à prendre peut entraîner des conséquences durables, tels que le choix du domicile, celui d’une école ou d’une profession pour les enfants, l’introduction d’un tiers pour départager serait la désorganisation du ménage. Nous ne saurions la conseiller ; mais il n’est pas démontré que le mari soit le meilleur arbitre nécessairement et dans tous les cas ; la voix prépondérante pourrait appartenir tantôt à l’un tantôt à l’autre suivant les sujets, les personnes et les circonstances. On pourrait exiger, ou du moins permettre, que la convention matrimoniale réglât ces points, comme il arrive déjà pour quelques bagatelles. Il est de toute injustice par exemple, qu’un oisif qui vit sur le bien de sa femme, lui fixe le lieu de sa demeure, plus encore lorsqu’il vit de son industrie, et la loi ne devrait pas permettre cela. Les conflits relatifs aux enfants pourraient être réglés suivants les sexes, ou par l’émancipation des intéressés lorsqu’elle est possible ; bref, en assouplissant la loi, nous croyons qu’on parviendrait à la rendre plus équitable. Quoique les arguments invoqués en faveur de la puissance maritale ne soient