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à nous-mêmes, l’impulsion du tempérament et des passions, le degré passager d’excitation nerveuse, les habitudes acquises, etc. De plus, l’instruction scientifique élargit les idéaux, affermit les règles directrices de la vie, inspire à l’homme une plus pleine idée de ses forces, et en même temps l’avertit de sa faiblesse et du besoin continuel de se défier de lui-même. « La hardiesse limitée par la prudence, tel est le fondement du caractère moderne, et le vrai but de l’école et des éducateurs. » On ne peut qu’applaudir à un tel langage, qui est celui de Mill, de Spencer et de Bain. Un avantage incontestable de l’éducation scientifique, c’est de préparer l’application de la méthode scientifique à la direction de la vie. Si, en effet, le nombre des connaissances apprises doit être considérable dans nos écoles, ce qui importe encore plus, et je suis de l’avis de M. Fornelli, c’est qu’elles soient dirigées vers cette fin : l’aptitude à remarquer les rapports naturels des choses. L’auteur me paraît encore dans le vrai, quand il dit qu’il faut demander, autant que possible, dans tout exercice, le concours libre et spontané de l’esprit. Je lui reprocherais, par exemple, d’avoir fait une critique un peu sévère, parce qu’elle est incomplète, de la méthode dite naturelle, étudiée uniquement dans Spencer. Je lui accorde cependant, ayant eu moi-même plus d’une occasion de le dire, que la confiance exagérée dans les procédés attrayants ou intuitifs a malheureusement trop fait oublier {moins en France, il est vrai, qu’ailleurs) que l’enfant est capable d’abstraire et de généraliser. L’important est d’observer ici, comme en toute chose, l’exacte et psychologique mesure.

Ce qui vient d’être dit fait prévoir l’importance donnée par M. Fornelli à l’enseignement des sciences naturelles, Ce sont elles (Mme Necker l’a proclamé il y a cinquante ans) qui contribuent le plus à la formation de l’esprit. Leur plus grande liberté de méthode les fait se mieux ployer aux exigences et aux desseins variés de l’éducation. Elles exercent l’esprit à l’observation, aux inductions vérifiables ; elles inspirent à l’homme le sentiment de sa domination sur la nature. Elles tournent de toute façon l’esprit vers la pratique. Elles l’habituent à élaguer de l’explication de tous les faits nouveaux l’intervention de causes fantastiques ou capricieuses. Elles ont, en outre, d’après l’auteur, l’avantage de contribuer à développer le sentiment de l’infini. « L’éducateur, dit-il, ne doit pas esquiver ce qui est un produit spontané de l’observation des grands phénomènes de la nature, et il doit cultiver le sentiment de l’infini, qui s’éveille en nous spontanément, avec la précaution pourtant de ne pas donner à cet infini une signification verbale et une personnification qu’il n’a pas dans le sentiment. » Je ne vois pas, quant à moi, l’influence que peut avoir sur la moralité humaine ce sentiment toujours vague et indéterminé de l’infini, pur abstrait. J’aurais vraiment plus de confiance dans ce sentiment si complexe et si concret, si suggestif, des affinités et des sympathies naturelles, qui accompagne toujours l’étude de la nature, faite comme elle doit l’être, c’est-à-dire autant que possible sur le réel et le vif.