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variétés

parut dans un livre rare, la Machiavellizatio[1] : c’était le métier de Schopp, qui fut philologue et pédant, de connaître les livres rares ; et sans doute il aurait démenti une fausse lettre à lui attribuée.

Pour le document trouvé à Venise, où Schopp lui-même fut un jour mis en jugement[2], il établit seulement que Bruno fut prisonnier à Venise. M. Desdouits se demande s’il faut conclure que l’Inquisition romaine réclama Bruno pour le brûler ; je le renvoie à l’histoire d’Amelot de la Houssaie (tome I, 3e partie[3], du Saint Office ou de l’Inquisition à Venise) ; s’il ne le sait, il y verra de quelles entraves était entourée à Venise l’Inquisition, quels efforts elle fit, quelles luttes elle soutenait pour prendre pied dans la cité ; il comprendra pourquoi les bourreaux voulurent arracher Bruno d’un sol où ils ne se trouvaient ni maîtres ni libres à leur gré. Puis, comment M. Desdouits, qui révoque en doute l’idée que Schopp a pu connaître la Machavellizatio, croit-il qu’un faussaire a pu connaître le document de Venise, qui, lui, n’était point rarissime, mais bien unique, et enfoui dans les armoires inviolables de la Segreta, dont M. L. Ranke l’a fait sortir seulement en ce siècle ?

M. Desdouits reconnaît que « le récit attribué à Schopp est naturel, vraisemblable » ; mais, conclusion inattendue, c’est pour lui un nouvel indice, car le métier des faussaires est précisément de produire cette apparence de vérité ». C’est le Credo quia absurdum transporté dans l’art de vérifier les dates.

Donc, la lettre réunit tous les caractères qu’on devait attendre d’une œuvre de Schopp : sottise, férocité, plaisanteries scolastiques, tout cela mis dans le latin admirable qui convenait à ce valet des Bellarmin[4].

M. Desdouits s’étonne qu’un récit de supplice se trouve dans une lettre « écrite pour justifier la cour de Rome du reproche de cruauté ». A-t-il bien compris la phrase ? La voici : « Si nunc Romae esses, ex plerisque omnibus satis audires lutheranum esse combustum, et ità non mediocriter in opinione tua de sævitia nostrâ confirmareris. At semel scire debes, Italos nostros inter hæreticos albâ linea non signare, neque discernere novisse ; sed quicquid est hæreticum, illud lutheranum esse putant. » Tout cela, non pour justifier Rome du reproche de cruauté (Schopp lui-même n’était pas impudent au point de croire y parvenir), mais pour justifier Rome d’animosité particulière contre les luthériens.

Une phrase dans la lettre de Schopp vaut une signature autographe ; faisant allusion à la doctrine de Bruno sur la pluralité des mondes, il termine ainsi : « Et je pense qu’il sera allé raconter, dans ces autres mondes qu’il avait imaginés, de quelle manière les Romains ont coutume

  1. En Allemagne, in-4o.
  2. A. Baschet, Hist. de la chanc. secrète, 1870, p. 582. Plon, éditeur.
  3. Amsterdam. Mortier, MDCXCV. 2 vol. in-12.
  4. Il outrageait de Thou, par rancune de grammairien. Schopp ne pouvait pardonner à Bruno le Candelaio, cette satire des pédants.