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LES JOURS MAUVAIS.


Les bons que n’ont frôlés ni l’orgueil, ni l’envie,
Qui conservent tout blanc leur manteau baptismal,
Et, sans en être atteints, vont marchant dans le mal
Et racontant au ciel leur ennui de la vie.

Les bons dont l’énergie, hésitante à vouloir,
Cache son arme vaine aux yeux qui les regardent,
Car c’est un poignard d’or damasquiné ― qu’ils gardent
Dans un mélancolique étui de velours noir.

Les bons tout en douceur, les bons tout en faiblesse
Un peu femmes, un peu enfants, ne voulant pas
Diminuer leur rêve en d’infimes combats,
Sachant que le silence est la seule noblesse.

Les bons dont la grande âme est comme un puits profond :
Des passantes d’un jour, avant que l’eau ne gèle,
Viennent l’une après l’autre au bord de la margelle
Y voir leur beau visage étinceler au fond.

Mais des hommes cruels jalousant les lumières
Du ciel qui s’y reflète avec tout son azur
Arrivent lâchement lancer d’un geste sûr
Dans ces cœurs ― des mots froids et durs comme des pierres !