Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/78

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Hélas ! pour une chute on la supposait vile,
Et la pauvrette, en vain, courait toute la ville ;
Pas un seuil ne s’ouvrait, pas un cœur n’excusait.

Ah ! ce dur préjugé fait plus d’une victime !
Qu’elle veuille en sortir, on la pousse à l’abîme,
La femme qu’un seul jour vit trop faible au devoir !
Elle veut remonter, on la fait redescendre ;
Elle veut raviver la flamme sous la cendre,
Et le monde la foule aux pieds, sans s’émouvoir !…

Mais ce monde illogique et taux devrait connaître
Combien d’êtres pareils, collés à leur fenêtre,
Et ne pouvant gagner leur pain honnêtement,
La rougeur sur le front et dans le cœur la haine,
S’en sont allés le soir, n’ayant mangé qu’à peine,
Le long des boulevards mendier un amant !…

Marthe lutta longtemps, mais à lutter on souffre ;
Et puis la tête tourne en regardant le gouffre
De cette vie oisive où tant de femmes vont.
N’en voyant que la claire et trompeuse surface
Qui réfléchit chaque astre et chaque oiseau qui passe,
On oublie à la fin que la boue est au fond.