Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/220

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Pensée irréelle s’épanouit au sein de la Matière inerte et l’illumine du reflet de sa splendeur ; mais c’est en vain qu’elle s’efforce d’échapper aux lourdes entraves de la réalité.

Je contemplai aussi l’Illusion, fille d’Icare.

C’est un ange d’une jeunesse ravissante. Tandis qu’il volait avec de grandes ailes, un brutal coup de vent l’a précipité à terre, et son charmant visage vient de s’écraser lamentablement sur un roc. Mais ses ailes demeurées entières battent encore l’espace, et, comme il est immortel, on devine qu’il va bientôt reprendre son essor pour retomber sans cesse aussi cruellement que la première fois. Inlassables espérances, éternels revers de l’Illusion !

Mon attention fut encore sollicitée par une troisième sculpture : la Centauresse.

Le buste humain de la créature fabuleuse se tend désespérément vers un but que ses bras allongés ne peuvent atteindre ; mais les sabots d’arrière, s’accrochant au sol, s’y arc-boutent, et l’épaisse croupe chevaline, presque assise dans la boue, regimbe à tout effort. C’est un effroyable écartèlement des deux natures dont se compose le pauvre monstre. Image de l’âme, dont les élans éthérés restent misérablement captifs de la fange corporelle !