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Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/38

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GŒTHE ET BEETHOVEN

Mignon, ainsi la voient ses intimes, et Goethe, aux premiers jours de la rencontre. Ainsi elle se voit elle-même, dès qu’elle en a trouvé l’image dans Wilhelm Meister. Elle s’identifie à cette figure, à sa Sehnsucht, à son destin, « en tout, dit-elle, sauf dans la mort » : car elle a le démon de vivre. De petite taille, le teint mat, des yeux sombres qui paraissent sans fond, une masse de boucles noires x, habituellement vêtue d’une longue robe de passions. Il vient d’écrire Y Appassionata, la sonate des Adieux, le Harpenquatuor, le Concerto en mi bémol, et il écrit Egmont. Bettine le trouve, tout saignant d’une nouvelle déception amoureuse, dont il est enragé : la passion déraisonnable pour Thérèse Malfatti. Il en sait la déraison, et se cingle de son âpre ironie. L’apparition de Bettine lui sera une délivrance. Bettine a vingt-cinq ans, mais elle en paraît beaucoup moins. Elle est née à Francfort, en 1785, de la belle Maximiliane La Roche, qu’a aimée le jeune Gœthe, et du commerçant Brentano, de vingt ans plus âgé que sa femme. La mère était protestante et rhénane ; le père catholique et italien d’origine. Elle perd l’une, à huit ans, et l’autre, à douze ans. Mise d’abord au couvent, puis élevée dans un cercle protestant, elle garde un profond besoin mystique, sans pouvoir le rattacher à aucune religion. Ses brillants dons naturels d’art et de poésie sont tendrement cultivés par l’un de ses frères, Clemens ; et depuis 1807, elle se lie d’amitié avec un ami de Clemens, le jeune gentilhomme poète Achim von Arnim, qu’elle épousera en 1811. Mais le grand événement de sa vie est sa passion pour Gœthe, depuis 1806. (J’y reviendrai plus loin). Elle est dévenue la confidente intime de la mère de Gœthe, et, par elle, réussit enfin à approcher Gœthe, en 1807. Elle lui appartient, dès lors, jusqu’à sa mort.

1. Napoléon, qui la voit, vers 1809, demande : — « Quelle est cette jeune éparpillée au regard de feu ? » (Brouillons de lettres inédits de Bettine).

N’oublions point, à l’arrière-plan de notre tableau, le dieu de