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Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/65

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GŒTHE ET BEETHOVEN

mêmes. Transition nécessaire d’un monde qui meurt, à un monde qui doit naître... Mais un Goethe, qui sait ce qu’il lui en a coûté pour conquérir l’ordre de son art et de sa vie, ne peut voir sans dégoût toute cette conquête remise en jeu, ruinée, — d’autant plus qu’il a une vue aiguë des dangers de l’esprit allemand, de son déséquilibre chronique, et qu’il a noté durement la disgrâce spéciale aux excès de l’âme germanique. Pour qu’il gardât, en leur présence, le désintéressement ironique d’un Renan, il faudrait qu’il ne fût qu’un Renan, qui tout embrasse, qui rien n’étreint. Il est Gœthe ; et ce qu’il tient, il le tient bien ; il ne laisse rien au vague et au hasard. Ce pacifique est toujours armé. Sous l’apparence romanesque, qu’on lui prête, de Phœbus Apollon, et que consacre le buste admirable de Martin Gottlob Ivlauer 1, il a surtout d’Apollon les traits du dieu exilé, du dieu solitaire, du dieu qui combat le dragon, mais qui, trop fier, ne clame point ses luttes et ses dangers, qui combat seul, qui seul refait, jour après jour, sa montée vers la lumière. Il est Gœthe, qui ne rit guère, qui prend la vie et l’art au sérieux. A ceux qui viennent, de gaieté de cœur, ébranler son ordre et son harmonie, il n’est point disposé à pardonner.

1. Au Gœthe-Nationalmuseum de Weimar. Récemment retrouvé et identifié par Wilhelm Bode (1909).