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Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/69

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GŒTHE ET BEETHOVEN

— « Vous ne pouvez pas savoir ! Pour nous, vieux, cest à devenir fous (Tollwerden), quand il nous faut voir autour de nous ce monde en déliquescence (vermodern), qui retourne aux éléments, jusqu à ce que — Dieu sait quand ? — un renouveau paraisse !... »

Impossible de mieux déceler le fond de sa pensée, la tragédie cachée. Dans sa malveillance secrète à l’égard de Beethoven, c’est l’instinct vital qui se défend, la rancune de qui so sent menacé. Cependant, il est homme du monde, et il sait ce qu’il doit aux convenances, — aux attentions d’un musicien illustre, qui lui témoigne sa vénération, — aux insistances de Bettine, qui, dans sa lettre du 11 mai l, plaide chaleureusement la 1. Cette lettre (authentique) du 11 mai 1811 est un exemple précieux de la manière de Bettine, dans son interprétation des textes. Elle transmet à Gœthe le message dont Beethoven l’a chargée pour lui. Elle ne cherche pas à transcrire les mots, littéralement. Elle en exprime exactement le sens, mais en s’appliquant, de plus, à ce qu’ils produisent l’effet désiré par Beethoven ; elle transpose, peut-on dire, la parole de Beethoven à la clef de Gœthe. Et elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour gagner Gœthe à la cause de Beethoven. Elle se montre, une fois de plus, amie vraie et dévouée. Connaissant le faible de Gœthe pour la louange, elle fait dire à Beethoven qu’il a composé sa musique d’Egmont, « par amour, par pur amour pour lui » (die ich aus Liebe, aus reiner Liebe, zu ihm gemacht habe). ■— Et elle ajoute : a Je ne veux dire de mal d’aucun que tu nommes ami Mais Beethoven n’est pas de ceux-là, il est ingénu ; il a reçu de toi une riche bénédiction : il t’a interprété, avec toutes les forces d’une libre nature, il est un vivant témoin de ta toute-puissance ». (Elle ne parlait point sans connaître : elle avait entendu l’ou-