de maison, déjà très irritable. — Le jour que je dînai chez lui, on servit des œufs ; le premier que je pris était si infect que je le poussai discrètement, sans en avoir l’air, sur le bord de l’assiette. Beethoven le remarqua, loucha sur mon assiette, et se tut. Lorsqu’il cassa à son tour son œuf, et qu’une même infection fut son lot, il alla simplement à la fenêtre, et le jeta dans la rue. Un second œuf aussi peu frais eut le même sort. J’étais dans l’anxiété qu’un passant le reçût, et que le maître n’eût des ennuis avec la police. Et justement ! Ce fut ce qui advint ! Auprès le lancé du projectile, il y eut dans la rue, (patatras !) des hurlements et des injures, un flux de drues malédictions, comme les Viennois ont la capacité d’en déverser, ainsi que d’une corne d’abondance, aussitôt qu’on attente à leurs droits et dignité : on pouvait s’attendre à ce que l’offensé démolît la fenêtre, ou en appelât à la police. J’étais assis sur des charbons, et je ne pouvais manifester par aucun mot ma frayeur d’un tel conflit, car le maître, sourd, absorbé par son quatuor, n’avait pas la moindre perception des conséquences de son acte… Par bonheur, l’orage s’apaisa, et je respirai… »
Très peu de jours après, Beethoven était assailli par cette grave maladie, à laquelle nous devons la Canzone di ringraziamento. C’était une violente inflammation intestinale, avec douleurs aigües et fièvre, qui inspira les plus sérieuses inquiétudes ; elle le tint au lit, du milieu d’avril au début de mai. Schindler l’attribuait à sa vie désordonnée, à des nuits passées au travail, (et la composition du premier morceau de notre quatuor y avait certainement contribué), à trop de fatigues. Beethoven avait abusé de ses forces. Il dut payer.
La crise fut extrêmement rude, mais brève. Une lettre du frère, le 6 mai, à Ries, dit que Beethoven est sauvé, mais que sa faiblesse est encore très grande, et qu’il est incapable
