Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
LES DERNIERS QUATUORS

travail, par le labeur exalté du maître artiste qui surveille la fonte du chef-d’œuvre.

Autant que possible, écartons les commentaires abstraits. Encore ceux de Wagner sont-ils vivifiés par son ardent génie, dont l’égoïsme intellectuel ne peut étouffer les vives et profondes intuitions d’artiste. Mais que dire des exégètes qui ont suivi, comme Paul Bekher, (par d’autres côtés, pourtant, si digne d’estime et d’intérêt), que son besoin d’établir un plan cérébral préconçu amène à se boucher les oreilles, pour entendre le contraire de ce que Beethoven a écrit[1] !

On dirait que Beethoven avait prévu ses commentateurs

  1. Ne veut-il pas voir, au sortir de la région des glaciers (la Grande Fugue finale du quatuor en si bémol), le retour au monde et le réveil de la joie de vivre, qui s’annoncerait dans la montée de la fugue du quatuor en ut diéze mineur (une des pages les plus douloureuses de Beethoven !) — comme le prélude à la Wiedergeburt (la naissance nouvelle) de l’humanité ! — Où ne va-t-il pas découvrir, au cours de l’œuvre, jusque dans ses profondeurs de mélancolie, « le pur sentiment de bonheur », tant il a volonté de l’y trouver ! Pour expliquer le désaccord trop criant de certaines parties de l’œuvre avec le plan qu’il lui impose, il a cette explication magnifique que ce n’est point Beethoven qui parle ici, il se contente d’être spectateur. Et il en arrive, dans le furieux combat de la fin, à ne plus voir de combat : « Pas de combat, pas de Sturm, pas de passion ! » Seulement une ascension glorieuse de l’esprit, qui d’Erkenntnis en Erkenntnis, — après être monté dans les deux derniers quatuors précédents, comme Moïse au Sinaï et avoir contemplé Dieu en face, redescend vers son peuple avec les Tables de la Loi. — Et ce sera le dernier quatuor : « Muss es sein ? — Es muss sein ! »

    Que tout cela est donc bien agencé ! Quel merveilleuse boîte mécanique serait la vie, si tout s’y succédait avec cet ordre préétabli ! Si passionné que fût Beethoven du beau travail, j’ai tout lieu de croire que, s’il y avait vu inscrite d’avance sa vie intérieure de deux années et sa fougueuse liberté, il eût, d’un gonflement de sa poitrine, fait sauter ces barreaux de cage et qu’il eût pris plaisir à les fouler aux pieds.