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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/255

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LES DERNIERS QUATUORS

les quelques mesures, les quelques notes, indispensables à l’élan du début ! Les exemples abondent : le premier début de la sonate op. 106, celui du finale du quatuor op. 132, et — (car ce n’est pas seulement le fait des œuvres de la dernière période) — quantité d’œuvres de toute sa vie, sonate op. 27, dernier morceau ; op. 18 ; variations, etc.[1] Paul Mies en a cherché diverses raisons rassises, et de l’ordre esthétique. Mais la psychologie du fait m’intéresse bien davantage. Et le fait est ceci : — la première idée de Beethoven[2] (dans les cas examinés ici) est engourdie et torpide. Ce n’est qu’à mesure qu’elle se réchauffe, au feu de l’âtre, et à celui plus brûlant de la création, se réveillant, comme un oiseau transi, après la nuit, qui par son vol se dégourdit, — que l’élan vient, le coup de passion, le mot de génie. La grande intuition créatrice était là, mais sous la glace. La glace a fondu. La veilleuse de l’âme éclaire la nuit.


Il est dans sa chambre, seul, au crépuscule, comme le philosophe de Rembrandt, depuis longtemps immobile, assoupi et meurtri. Il ne bouge pas, pour ne pas sentir ses blessures. Mais l’effort même pour respirer fait qu’il soupire ; et ce soupir des trois premières notes déclenche le cours de la mélancolie, — bien résignée, car le sf. de la quatrième note se brise aussitôt, sur une complainte comme à voix basse, égale, monotone, sans sursauts, solitaire. Mais une seconde voix

  1. Cf. Mies, pp. 4 et suiv.
  2. Il faudrait examiner à laquelle des deux moitiés de l’année — hiver, été — elle a été écrite. Il est presque certain que l’idée d’hiver, écrite en chambre, s’engourdit au foyer. L’idée d’été, jaillie au pas d’une promenade, sera marquée toujours d’un vif élan.