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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/256

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BEETHOVEN

répète la plainte, puis une troisième, une quatrième ; et, à chaque fois, l’âme, stimulée par sa douleur et peuplant d’elle-même sa solitude, prend une conscience plus aiguë de sa peine, monte de ton, non sans retomber, épuisée, traînant son corps pesant et las, qui est lent à s’ébranler, et n’avance d’un pas plus vite que l’autre. — Beethoven, dans tout le morceau, ne marque pas un signe de mouvement, en dehors du titre : adagio ma non troppo : — rien que des signes d’expression : — molto espressivo — nombreux < et >, constants sf. et cresc. qui s’achèvent en p… Ces élans qui se brisent, si caractéristiques de Beethoven âgé, n’ont jamais été aussi fréquents et répétés que dans ce quatuor : on pourrait dire que c’en est la marque ; et cela en dit long sur son état moral, en cet hiver de création, pourtant ardente et pressée. Cette alternative de sf. cresc. et de p. est congénitale au double motif, qui gouverne tout le morceau, et dont les premières notes expriment la montée aiguë de la douleur — et ce qui suit, la retombée lasse et résignée. Tout le morceau est construit sur ce couple de sentiments, qui cherchent, chacun, à faire prédominer sa voix ; et chacun subit aussi l’influence de l’autre. Si le motif de plainte s’irrite, comme une blessure que l’on touche, le motif d’abattement s’élève à des régions d’acceptation religieuse, dont la douloureuse sérénité est l’annonciatrice de quelque Parsifal[1]. (Certes, Wagner n’était pas moins imprégné de ce premier morceau du quatuor que, nous le verrons plus loin, Berlioz le fut du troisième). Et c’est

  1. Mesures 66 et suiv. : le duo des violons, sans accompaguemant, comme des voix dans la coupole.