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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/263

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LES DERNIERS QUATUORS

devant, le cœur suit. Chez Beethoven, le θυμός va le premier ; le νοῦς, après ; le cœur conçoit, la raison sculpte. « Le signe de l’Innocence » l’eût laissé froid : il était simplement un vieux homme, assoiffé et sevré de tendresse ; dans son isolement, il la créait, il s’en enveloppait comme d’un manteau, contre l’hiver glacé. — Le thème, d’un charme caressant, qui s’insinue p. dolce, molto cantabile, éveille au cœur une émotion, qui le gonfle de nostalgie, et qui s’achève sur une cadence d’abandon heureux dans l’amour partagé.

Mais le rêve une fois éveillé s’irradie en buissons. C’est, comme un arbre à la multiple ramure, un surgissement de Variations. Vincent d’Indy a mis en lumière, chez Beethoven, ce qu’il appelle la grande « Variation amplificatrice », et il en a analysé, comme un des types les plus curieux, justement les sept Variations de l’andante du XIVe quatuor. — « Non content, dit-il, d’agrandir les thèmes par toutes les ressources dont la musique disposait, depuis les volutes grégoriennes jusqu’aux lacis les plus compliqués de la Passacaille (italienne et allemande des siècles précédents), il s’élève à la conception d’un nouvel état musical du même thème, qui s’amplifie dans tous les sens, en hauteur et en profondeur », — d’autres fois, simplifié jusqu’à l’essence, — ressuscitant en un autre être, qui, maintes fois, ne paraît plus avoir rien de commun avec le premier, que les racines mystérieuses au sein de l’Être. C’est le jeu suprême de la création, qui tient la clef des formes vivantes et fait fleurir de l’Unité leur innombrable diversité. Le vieux Beethoven, dans son rêve, se plaît à ce pouvoir magique des métamorphoses. Ce ne sont plus seulement les expressions de la pensée qui varient merveilleusement ; la pensée même est changée. Quel intérêt y trouverait la science psychologique, et particulièrement l’étude des états mys-