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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/268

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BEETHOVEN

curieuse, on retrouve même dans la paix étoilée de cette pure et profonde, de cette ardente contemplation, où le la aigu et répété du premier violon semble une vibration mystique dans les hauteurs immobiles de l’atmosphère, — on retrouve la dramatique interruption, le frissonnement colé-


    se termina. — Alors, la rumeur de blâme, si difficilement contenue, éclata sans ménagements ; on alla jusqu’à accuser M. Baillot de se moquer du public, en présentant de pareilles extravagances. Quelques ardents admirateurs de Beethoven déploraient timidement la perte de sa raison. « On voit bien, disaient-ils, que sa tête était dérangée ; quel dommage ! un si grand homme !… »

    « Cependant, dans un coin de l’appartement, se trouvait un petit groupe (et il faut bien que j’avoue que j’en faisais partie…), dont les sensations et les pensées étaient bien différentes. Les membres de cette fraction imperceptible du public, se doutant bien de l’effet qu’allait produire sur la masse l’exécution du nouveau quatuor, s’étaient réunis pour n’être pas troublés dans leur contemplation. Après quelques mesures du premier morceau, je commençais à craindre de m’ennuyer, sans que l’attention avec laquelle j’écoutais perdit néanmoins de son intensité. Plus loin, ce chaos paraissait se débrouiller ; au moment où la patience du public se lassait, la mienne se ranimait et j’entrais sous l’influence du génie de l’auteur. Insensiblement, son action devenait plus forte ; j’éprouvais un trouble inaccoutumé dans la circulation ; les pulsations de mes artères devenaient plus rapides. Dès le second morceau qui succéda au premier sans interruption, pétrifié d’étonnement, je me retournais vers l’un de mes voisins et je vis sa figure pâle, couverte de sueur, et tous les autres immobiles comme des statues. Peu à peu je sentis un poids affreux oppresser ma poitrine comme un horrible cauchemar ; je sentis mes cheveux se hérisser, mes dents se serrer avec force, tous mes muscles se contracter, et enfin, à l’apparition d’une phrase du finale, rendue avec la dernière violence par l’archet énergique de Baillot, des larmes froides, des larmes de l’angoisse et de la terreur, se firent péniblement jour à travers mes paupières et vinrent mettre le comble à cette cruelle émotion.

    « La séance était terminée par des quatuors de Haydn. Aucun de nous ne put les entendre… »

    Berlioz constate que ce n’est pas seulement ici une question de musique… « Des compositeurs célèbres ont écouté avec impatience… Il faut en outre être doué d’une organisation qui sympathise jusqu’à un