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LES DERNIERS QUATUORS

tonalité en mi majeur au demi-ton supérieur de la dominante mi bémol, adagio molto espressivo, — religieuse concentration de la pensée… On entre dans un monde différent. Vincent d’Indy a montré, par une juxtaposition de textes, la dématérialisation qui s’opère dans la mélodie, ramenée à ses éléments essentiels, dépouillés de leurs ornements. On dirait que s’opère ici ce mouvement de l’âme, dont Beethoven nous parlait tout à l’heure, « au delà même du ciel étoilé, jusqu’à la source première… » Quelle ferveur ! La grave adoration, qui par moments monte à des sommets d’extase presque douloureux, retombe ensuite dans des profondeurs de pieuse acceptation. J’entends le : « Fiat voluntas !… » Je vois l’homme agenouillé, dans la nuit, et, là-haut, sur les notes aiguës du premier violon, scintillent les étoiles. Ce n’est pas une image, c’est une intuition directe, j’en ai la certitude : la langue de Beethoven est transparente à ceux pour qui, depuis l’enfance, c’est la langue maternelle. Ici, dans cette oraison, elle est presque parlée : c’est, comme il nommera plus tard une autre de ces méditations, une sorte de « Cavatine » — cette forme intermédiaire entre le récitatif et le chant.

L’atmosphère détendue ramène, par un glissement du mi naturel au mi bémol, la tonalité initiale, au demi-ton au dessous. Et c’est le premier thème, que la quatrième variation harmonieusement balance sur un rythme de triolets, avec des élans brefs, une volée de petits trilles, comme des battements d’ailes, mais sous ces effusions je ne sais quelle inquiétude nostalgique, un reste de l’émotion de l’extase précédente.

Cet état s’accentue et s’affirme, sans voiles, dans un très beau passage récitatif sotto voce, de 12 à 13 mesures (mes. 96-107-8), que d’aucuns considèrent comme un épisode de