Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

86
LA FIN DU VOYAGE

l’histoire ; et la science l’ennuyait ; elle était pour lui une préface fastidieuse à un conte de fées : les forces invisibles, mises au service de l’homme, tels des génies terribles et terrassés. À quoi bon tant d’explications ? Quand on a trouvé quelque chose, on n’a pas besoin de dire comment on l’a trouvé, mais ce qu’on a trouvé. L’analyse des pensées est du luxe bourgeois. Ce qu’il faut aux âmes du peuple, c’est la synthèse, ce sont des idées toutes faites, tant bien que mal, et plutôt mal que bien, mais tendant à l’action, des réalités grosses de vie et chargées d’électricité. De toute la littérature qu’Emmanuel pouvait connaître, ce qui le touchait le plus, c’était le pathos épique de quelques pages de Hugo et la rhétorique fuligineuse de ces orateurs révolutionnaires, qu’il ne comprenait pas bien, et qui, non plus que Hugo, ne se comprenaient pas toujours eux-mêmes. Le monde était pour lui, comme pour eux, non pas un assemblage cohérent de raisons ou de faits, mais un espace infini, noyé d’ombre et tremblant de lumière, où passaient dans la nuit de grands coups d’aile ensoleillés. Olivier essayait en vain de lui communiquer sa logique bourgeoise. L’âme rebelle et ennuyée lui échappait des mains ; et elle se complaisait dans le vague et le heurt