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LA FIN DU VOYAGE

soi, que l’on ne peut pas sauver !… — Maintenant, il était résigné. Les fleurs n’ont pas besoin qu’on les voie, pour fleurir. Elles n’en sont que plus belles dans les champs où nulle main ne les cueille. Heureux, les champs en fleurs qui rêvent, au soleil ! — De soleil, il n’y en avait guère ; mais les rêves d’Olivier n’en fleurissaient que mieux. Que d’histoires, tristes, tendres, fantasques, il se raconta, ces jours-là ! Elles venaient on ne sait d’où, voguaient comme des nuages blancs sur un ciel d’été, elles se fondaient dans l’air, d’autres leur succédaient ; il en était peuplé, Parfois, le ciel restait vide ; dans sa lumière, Olivier s’engourdissait, jusqu’au moment où de nouveau glissaient, leurs grandes ailes éployées, les barques silencieuses du rêve.

Le soir, le petit bossu venait. Olivier était si plein de ses histoires qu’il lui en dit une, souriant et absorbé. Que de fois, il parlait, ainsi, devant lui, sans que l’enfant soufflât mot ! On finissait par oublier sa présence… Christophe, qui arriva au milieu du récit, fut saisi de sa beauté, et demanda à Olivier de recommencer l’histoire. Olivier s’y refusa :

— Je suis comme toi, dit-il, je ne la sais, déjà plus.

— Ce n’est pas vrai, dit Christophe ; toi, tu es un diable de Français qui sait toujours