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LE BUISSON ARDENT

son nom. Des journaux de médisances paraissaient pendant ces trois jours. Des gens de la société se mêlaient sournoisement à ce jeu de Pasquino. Nul contrôle exercé, sauf pour les allusions politiques, — cette âpre liberté ayant été la cause, à diverses reprises, de contestations entre le gouvernement de la ville et les représentants des États étrangers. Mais rien ne protégeait les citoyens contre les citoyens ; et cette appréhension de l’outrage public, constamment suspendue, ne devait pas peu contribuer à maintenir dans les mœurs l’apparence impeccable dont la ville s’honorait.

Anna était sous le poids de cette peur, — d’ailleurs injustifiée. Elle avait bien peu de raisons de craindre. Elle tenait trop peu de place dans l’opinion de la ville pour qu’on eût seulement l’idée de l’attaquer. Mais dans l’isolement absolu où elle se murait, dans l’état d’épuisement et de surexcitation nerveuse où l’avaient mise plusieurs semaines d’insomnies et de souffrances morales, son imagination était prête à accueillir les terreurs les plus déraisonnables. Elle s’exagérait l’animosité de ceux qui ne l’aimaient point. Elle se disait que les soupçons étaient sur sa piste ; il suffisait d’un rien pour la perdre ; et qui l’assurait que ce