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LA FIN DU VOYAGE

soleils comme des flocons de neige que balaye l’ouragan !… Il avait dépouillé son âme. Ainsi que dans ces rêves où l’on est suspendu dans l’espace, il se sentait planer au-dessus de lui-même, il se voyait d’en haut, dans l’ensemble des choses ; et le sens de ses efforts, le prix de ses souffrances, d’un regard, lui apparurent. Ses luttes faisaient partie du grand combat des mondes. Sa déroute était l’épisode d’un instant, aussitôt réparé. Comme il luttait pour tous, tous luttaient pour lui. Ils avaient part à ses épreuves, il avait part à leur gloire.


— « Compagnons, ennemis, marchez sur moi, écrasez-moi, que je sente sur mon corps passer les roues des canons qui vaincront ! Je ne pense pas au fer qui me laboure la chair, je ne pense pas au pied qui me foule la tête, je pense à mon Vengeur, au Maître, au Chef de l’innombrable armée. Mon sang sera le ciment de sa victoire future… »


Dieu n’était pas pour lui le Créateur impassible, le Néron qui contemple, du haut de sa tour d’airain, l’incendie de la Ville que lui-même alluma. Dieu luttait. Dieu souffrait. Avec tous ceux qui luttent et pour tous ceux qui souffrent. Car il était la Vie, la goutte