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LA FIN DU VOYAGE

qui monte : les odorats les plus grossiers en sont saisis. La plus sublime idée restera sans effet, jusqu’au jour où elle devient contagieuse, non par ses propres mérites, mais par ceux des groupes humains qui l’incarnent et lui transfusent leur sang. Alors la plante desséchée, la rose de Jéricho, soudainement fleurit, grandit, remplit l’air de son arôme violent. — Telles de ces pensées, dont l’éclatant drapeau menait les classes ouvrières à l’assaut de la citadelle bourgeoise, étaient sorties du cerveau de rêveurs bourgeois. Tant qu’elles étaient restées dans les livres des bourgeois, elles étaient comme mortes : des objets de musée, des momies emmaillotées dans des vitrines, que personne ne regarde. Mais aussitôt que le peuple s’en était emparé, il les avait faites peuple, il y avait ajouté sa réalité fiévreuse, qui les déformait, et qui les animait, soufflant dans ces raisons abstraites ses espoirs hallucinés, un vent brûlant d’Hégire. Elles se propageaient de l’un à l’autre. On en était touché, sans savoir ni par qui, ni comment elles avaient été apportées. Les personnes ne comptaient guère. L’épidémie morale continuait de s’étendre ; et il se pouvait que des êtres bornés la communiquassent à des êtres d’élite. Chacun en était porteur, à son insu.