Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 4.djvu/241

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— Mais toi, qui as vécu ?

— Moi. je suis femme, je ne sais pas, je ne suis pas sûre, personne ne m’a guidée, je n’ai suivi que mon instinct et mon cœur. Ce n’est pas suffisant.

— Non, ce n’est pas suffisant. Mais quand sera-ce suffisant ? Même au bout de l’existence, quel homme pourra jamais dire qu’il sait, qu’il est certain, qu’il a tout examiné ? Est-il donc condamné à remettre toujours au lendemain, pour agir ? À remettre, de jour en jour, on arrive au jour final, avili, dégradé, prostitué, comme la masse des vivants. Quand aurai-je le droit d’exister ?

Annette ne voulait pas entendre. (Elle entendait trop bien !)

— Tu n’as pas le droit de te détruire.

— Ce n’est pas détruire que je veux. C’est construire.

— Construire quoi ? Et pour qui ?

— Pour moi, d’abord. Une maison propre, où je puisse respirer. Je ne supporterais pas de vivre, comme ces autres, dans leur bauge de mensonge… Et puis, j’ai forcé la note, quand je t’ai dit tout à l’heure… Tu m’appelles dur. Je le suis.