Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/198

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grands aventuriers, ses rivaux et modèles, le Basile, ou le roi des huiles, ou celui des allumettes, dont le déséquilibre de puissance semblait prudemment balancé par une vie domestique mesurée, à l’écart, et qui cherchait à se faire ignorer. Il les traitait de rats, de ladres, et de ronds-de-cuir. Ils étaient, par le fait, des excroissances de la bourgeoisie, des cancers sur sa peau, bien plus que des hommes nouveaux. Mais Timon, qui eût pu l’être, se laissait arrêter en chemin par les lianes au ventre et la vase mouvante sous les pieds. Et Annette enrageait : car elle s’était prise, curieusement, de passion pour cette destinée qui pourtant ne lui inspirait certes aucune sympathie ; mais elle ne pouvait supporter de voir gâcher une puissance de nature, qui avait su empoigner la victoire et qui la laissait retomber. Et Timon, qui le remarquait, s’amusait de l’intérêt qu’y prenait, plus que lui, sa secrétaire. Il lui en savait gré. De se découvrir un public, qui appréciait sa force, lui était un stimulant qui lui avait trop manqué. Mais c’était bien tard, pour qu’il en profitât !

Oui, il le savait comme elle, il était plus intelligent que ces rivaux, contre lesquels il luttait ; il voyait plus loin qu’eux, et plus vrai, plus à fond. Il voyait leurs faiblesses, et le néant de leurs constructions. Il le faisait voir à Annette, par jets de lumière saisissants.

« Eh bien alors, patron ?… »

examinait sa bouche qui frémissait :

— « Parle, madame Sans-Gêne ! »

— « Pourquoi n’y mettez-vous pas l’épaule ? »

— « Afin de les étayer ? »

— « Afin de les culbuter, et de bâtir à leur place. »

— « Montre-moi le terrain ! »

— « Toute la terre. « 

— « Ce n’est qu’une fondrière. »

— « Est-ce que vous n’êtes pas capable, avec vos