Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/171

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dans ce centre d’Europe fissuré, à mesure qu’on se rapprochait du volcan.

Mais Assia, qui en était une coulée de lave, ne cherchait pas à y rentrer ; sa pente la ramenait, quoi qu’elle en eût, vers l’Occident. — Était-ce l’Occident, vraiment ? Ou dans cet Occident, un lieu, un point, un aimant ? Elle s’en défendait. On ne se défend que de ce qui vous menace, — de ce qui vous tient. Elle avait beau s’en irriter. Son âme, son corps n’étaient pas redevenus sa pleine propriété. Un autre sang était mêlé au sien. Elle ne pouvait s’en dégager. Elle dut faire d’irritantes constatations. Sollicitée indirectement de communiquer à ses camarades de combat le compte-rendu des secrètes délibérations dont son emploi la rendait témoin, elle n’eût eu aucun scrupule à le livrer : car elle ne s’embarrassait pas d’égards moraux envers l’ennemi. Et cependant, il lui fut impossible de le livrer ; une main, un frein, lui serraient la gorge ; elle voulut passer outre, elle se cabra ; le frein, la main la refoulèrent en arrière. Elle les rongeait. Elle reconnaissait trop bien celui dont les scrupules orgueilleux la bridaient, ce mors auquel sa bouche s’ensanglantait. Elle remâchait le goût du fer sur sa langue… Ah ! si elle avait pu mâcher aussi la langue !… Faute de la trouver dans sa bouche, elle mâchait la sienne, comme si c’eût été l’autre, — avec colère et volupté.

Elle n’était pas femme à se tromper longtemps. Elle savait voir ce qu’elle ne voulait pas voir. Il la tenait donc toujours, ce Marc haï et rejeté ? Qu’est-ce qu’il avait, dont elle n’arrivait pas à se décoller ? Elle aurait eu vingt occasions de remplacer ce compagnon. Rien ne l’empêchait… Elle ne l’avait pas fait. Au dernier moment, l’autre — (non, non, pas l’autre ! l’un et le seul…) — s’interposait. Pourquoi le seul ? Il ne