Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/260

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allégé autour d’elle. Elle vit que ses voisins, bonnes gens, avaient veillé sur son repos. Elle trouva sous sa joue un châle, dont une vieille paysanne lui avait fait un oreiller. Et la petite fille à ses pieds, qui mordait une orange, la lui tendit. Tous, en la voyant rouvrir les yeux, la complimentaient avec une railleuse bonhomie. Et elle leur répondit sur le même ton rieur et affectueux ; plus aucune gêne n’était entre eux : ils étaient tous de la même espèce. Elle savait d’où venait le coup de baguette qui avait, au rebours de celle de Circé, changé les bêtes en compagnons. Le magicien était derrière elle. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour le voir. Sa voix chantante et grave jetait le filet sur tous ces êtres entassés ensemble ; elle avait fait entre eux une communion de sympathies et d’intérêts ; entre les trois compartiments, la conversation était générale ; et sans qu’en rien il s’imposât, c’était autour de lui qu’elle gravitait. Presque tous les regards de ceux qui parlaient convergeaient de son côté ; et comme ils devaient, pour l’atteindre, passer par-dessus la tête d’Annette, ils s’arrêtaient sur le chemin. Annette était mêlée à l’entretien. Et peu à peu, son oreille s’habituant à leur parler, elle y prit part, en un italien hésitant, qui les faisait ricasser bonnement. Elle fut surprise d’entendre celui qu’elle ne voyait pas lui répondre en un français, d’une langue très pure et choisie. Ils poursuivirent le dialogue, sans qu’elle essayât de le voir. Il s’informait discrètement d’où elle venait, où elle allait, et la renseignait sur la route. De lui, il ne parlait pas, et elle ne cherchait pas à s’informer. Les paysans l’appelaient : « Signor conte ». Et elle savait qu’il était un homme âgé : il avait fait allusion à certains événements dont il avait été témoin dans la région, plus de trente ans auparavant. Il s’exprimait avec une courtoisie familière. Elle aimait