Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/403

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les autres, mais les vôtres, vos troupes, ses troupes, — mais même lui ! Lui, l’homme qui les mène, lui, le metteur en scène ! Sait-il seulement la fin de sa pièce ? Que veut-il, au juste ? À quoi croit-il ? A-t-il fixé son scénario ? Il en a changé dix fois, il en changera encore dix fois, — la guerre, la paix, le poing, les pactes — si le public a la patience de suivre le spectacle. À l’heure actuelle, votre idéal du fascisme italien (vous le masquez !) ne dépasse pas l’étape de la nation armée, bardée et barbelée. Pour vos bandes noires, prêtes à marcher, qui donc n’est pas l’ennemi ? L’ennemi est l’au dehors, l’au-delà de l’enceinte, l’au-delà de l’Empire : Rome en face des barbares… Alors, c’est moi le barbare, c’est nous l’ennemi ? Cartes sur table ! Votre combat n’est pas pour nous. Votre combat est contre nous. Et êtes-vous bien sûr qu’il soit pour vous ? A-t-il un but ? S’en soucie-t-il ? Au meilleur sens, au plus élevé, — le sens tragique des coqs de lettres qui claironnent le combat, ceux qui ne se battent pas, mais qui font battre les autres : les Nietzschéens, — votre fascisme souffle dans tous les peuples cet esprit de lutte et de primauté, d’impérialisme éternel, qui est, à en croire votre Duce, la formule même de la vie à tout jamais. C’est le combat pour le combat, sans fin, sans progrès, sans espoir… ( « Je n’ai pas besoin d’espérer pour entreprendre… » ) Musique connue ! — Eh bien, moi, j’ai besoin d’espérer, et je veux savoir oii je vais. Où allez— vous ? »

La longue bouche de Zara se tordit. Il rit :

— « Nous allons. Que faut-il plus ? Ce qu’il faut aux hommes, ce sont, de loin en loin, des Animatori, qui remontent l’horloge rouillée de la vie. Ne croyez-vous pas que votre France aurait besoin d’un Animatore comme le nôtre, qui secoue la sieste de votre inamovible démocratie ?