Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/93

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tent de tromper ; il avait conscience de jouer un rôle : lequel ? Il ne savait pas. Mais il en était fier. Il était un homme, tout à fait…

Le surlendemain du départ de Assia, Marc reçut d’elle une longue lettre. Vingt pages, au crayon, d’une écriture serrée. Elle ne manifestait aucun désir de s’excuser et de rentrer. Mais elle ne se croyait pas quitte envers lui, qu’elle ne lui eût exactement raconté ce qui s’était passé. Elle ne se demandait pas de quels yeux il le lirait. Elle se jugeait tenue de lui rendre compte — son dernier compte. Avec une étrange impudeur psychologique, cette maladie d’analyse de soi, qui possède les âmes Slaves, elle ne se faisait grâce — elle ne lui faisait grâce — d’aucun repli de sa conscience ; elle lui livrait la nudité des actes et des pensées. Quand l’expression ne l’avait pas satisfaite, elle raturait, elle corrigeait, elle complétait. Elle entendait ne pas se ménager. Mais elle ne songeait pas que c’était ne pas le ménager. Il lui fallait se décharger. Après, elle se trouvait bien soulagée. Le cilice même est un gant de crin. Il frotte la peau et la rougit jusqu’au sang.

Marc, lui, devenait blême, et ses mains tremblaient, en parcourant cette confession. Il prit à peine le temps de feuilleter, ses yeux en fièvre n’auraient pu lire avec suite ; le malheur voulut que, dans ce fouillis de notes et de ratures où se montrait, en dépit de tout, la rude loyauté de la femme qui l’avait trompé, son regard tombât sur quelques lignes d’une franchise si dépouillée de tout vêtement qu’il vit rouge ; il en rugit ; il fit des vingt pages une boule, qu’il écrasa, qu’il lacéra, entre ses doigts, — il eût voulu que ce fût le corps de Assia ! — il la jeta dans sa cheminée, il la brûla… Après, il eut le regret, jusqu’à sa mort, de n’avoir pas lu ces pages jusqu’au bout. Il aurait beau faire maintenant,