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émile

ne nous les donne pas, nous nous les approprions à son préjudice.

C’est le peuple qui compose le genre humain ; ce qui n’est pas peuple est si peu de chose que ce n’est pas la peine de le compter. L’homme est le même dans tous les états : si cela est, les états les plus nombreux méritent le plus de respect.

Il faut étudier la société par les hommes, et les hommes par la société : ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucune des deux.

Il y a dans l’état de nature une égalité de fait réelle et indestructible, parce qu’il est impossible dans cet état que la seule différence d’homme à homme soit assez grande pour rendre l’un dépendant de l’autre. Il y a dans l’état civil une égalité de droit chimérique et vaine, parce que les moyens destinés à la maintenir servent eux-mêmes à la détruire, et que la force publique, ajoutée au plus fort pour opprimer le faible, rompt l’espèce d’équilibre que la nature avait mis entre eux. De cette première contradiction découlent toutes celles qu’on remarque dans l’ordre civil entre l’apparence et la réalité. Toujours la multitude sera sacrifiée au petit nombre, et l’intérêt public à l’intérêt particulier ; toujours ces noms spécieux de justice et de subordination serviront d’instruments à la violence et d’armes à l’iniquité.

Je voudrais qu’on choisit tellement les so-