Page:Rolland Clerambault.djvu/36

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tation de Paris. Vers une heure de la nuit, Mme Clerambault, qui s’était couchée, vint chercher son mari et réussit à le ramener dans leur chambre commune. Il se coucha aussi. Mais quand Pauline fut endormie, (elle, l’inquiétude la faisait dormir !) il sortit du lit et retourna dans la pièce voisine. Il suffoquait, il gémissait ; sa souffrance était si compacte et si dense qu’elle ne lui laissait plus l’espace de respirer. Avec l’hyperesthésie prophétique de l’artiste, qui vit souvent avec plus d’intensité dans le lendemain que dans l’instant présent, il embrassait tout ce qui allait venir, d’un regard d’épouvante et d’un cœur crucifié. Cette guerre inévitable entre les plus grands peuples du monde lui apparaissait comme la faillite de la civilisation, la ruine des espoirs les plus saints en la fraternité humaine. Il était pénétré d’horreur par la vision de cette humanité folle, qui sacrifiait ses trésors les plus précieux, ses forces, son génie, ses plus hautes vertus, à l’idole bestiale de la guerre. Une agonie morale, une communion déchirante avec les millions de malheureux. À quoi bon, à quoi bon, les efforts des siècles ? Le vide lui étreignait le cœur. Il sentait qu’il ne pourrait plus vivre, si sa foi dans la raison des hommes et leur amour mutuel était détruite, s’il lui fallait reconnaître que son Credo de vie et d’art était une erreur, que le mot de l’énigme du monde était le noir pessimisme. Et il était trop lâche, pour le regarder en face ; il en détournait les yeux, avec effroi. Mais le monstre était là et lui soufflait au visage. Et Clerambault suppliait (il ne savait qui ni quoi) que cela ne fût pas,