Page:Rolland Clerambault.djvu/59

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tinct. Région peu connue, où l’observation rarement s’aventure. Notre psychologie s’en tient à cette partie du moi qui émerge du sol ; elle en décrit avec minutie les nuances individuelles ; mais elle ne prend pas garde que ce n’est que la cime de la plante ; les neuf dixièmes sont enfouis, et reliés par le pied à d’autres plantes. Cette région de l’âme, profonde (ou basse), est insensibilisée, en temps ordinaire ; l’esprit n’en perçoit rien. La guerre, en réveillant cette vie souterraine, fit prendre conscience de parentés morales qu’on ne soupçonnait pas. Une subite intimité se révéla entre Clerambault et un frère de sa femme, qu’il avait toutes les raisons de regarder, jusqu’à ce jour, comme le type du parfait Philistin.

Léo Camus n’avait pas atteint la cinquantaine. Il était grand, maigre, un peu voûté, barbe noire, le teint gris, le poil pauvre — (la calvitie commençait à se voir par derrière, sous le chapeau) — de petites rides en tous sens, se coupant, se contredisant, comme un filet mal fait, l’air maussade, renfrogné, perpétuellement enrhumé. Il était depuis trente ans employé de l’État, et sa carrière s’était passée dans l’ombre d’une cour de ministère ; au long des années, il avait changé de pièce, mais non pas d’ombre ; il avançait, mais sur la cour. Aucune chance qu’il en sortît, dans cette vie. À présent, il était sous-chef, ce qui lui permettait de faire ombre à son tour. Presque point de rapports avec le public : il ne communiquait avec le monde extérieur qu’à travers un rempart de cartons et de dossiers entassés. Il était vieux garçon et n’avait point