Page:Rolland Clerambault.djvu/90

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profondes de l’Amour. L’immense Amour, qui est la loi de gravitation qui meut les mondes, ne se soucie pas des cadres que nous lui traçons. Il s’accomplit entre des âmes que tout éloigne, dans l’espace et dans l’heure ; par-dessus les siècles, il unit les pensées des vivants et des morts ; il noue d’étroits et chastes liens entre les jeunes et les vieux cœurs ; il fait que l’ami est plus proche de l’ami, il fait que souvent l’âme de l’enfant est plus proche de celle du vieillard, que, dans toute leur vie, ils ne trouveront peut-être, femme, de compagnon, ou homme, de compagne. Entre pères et enfants, ces liens existent parfois sans qu’ils en aient conscience. Et le « siècle » (comme disaient nos vieux) compte si peu en face de l’amour éternel qu’il arrive qu’entre pères et enfants les rapports soient intervertis et que ce ne soit pas le plus jeune qui des deux soit l’enfant. Que de fils éprouvent pieusement un amour paternel pour la vieille maman ! Et ne nous arrive-t-il pas de nous sentir très humbles et tout petits devant les yeux d’un enfant ? Le Bambino de Botticelli pose sur la Vierge candide son regard lourd d’une expérience douloureuse qui s’ignore, et vieille comme le monde.

L’affection de Clerambault et de Rosine était de cette essence, auguste, religieuse, où la raison n’a point accès. C’est pourquoi, dans les profondeurs de la mer agitée, loin au-dessous des troubles et des conflits de conscience que la guerre déchaînait, un drame intime se déroulait, sans gestes, presque sans mots, entre ces deux âmes, unies par un amour sacré. Ce sentiment ignoré expliquait la finesse de leurs réactions mutuelles.