Page:Rolland Clerambault.djvu/91

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Au début, le muet éloignement de Rosine, déçue dans son affection, froissée dans son culte secret, par l’attitude de son père que la guerre égarait, et s’écartant de lui, comme une petite statue antique chastement drapée. Aussitôt, l’inquiétude de Clerambault, dont la sensibilité aiguisée par la tendresse avait sur-le-champ perçu ce Noli me tangere ! Il s’en était suivi, pendant la période qui avait précédé la mort de Maxime, une brouille inexprimée entre le père et la fille. On n’oserait parler (les mots sont si grossiers !) de « dépit amoureux », au sens le plus épuré. Ce désaccord intime, dont aucune parole ne les eût fait convenir, leur était à tous deux une souffrance, troublait la jeune fille, irritait Clerambault ; il en savait la cause, et son orgueil se refusait d’abord à la reconnaître ; peu à peu il n’était plus très loin d’avouer que Rosine avait raison ; il eût voulu s’humilier ; mais la langue restait liée par une fausse honte. Ainsi, le malentendu des esprits s’aggravait, quand les cœurs s’imploraient de céder.

Dans le désarroi qui suivit la mort de Maxime, cette supplication se fit plus pressante sur l’âme moins forte pour résister. Un jour qu’ils se trouvaient tous les trois au dîner du soir, — (c’était le seul moment où ils fussent réunis, car chacun s’isolait : Clerambault prostré dans son deuil. Mme Clerambault toujours agitée sans but ; et Rosine tout le jour absente, occupée à des « œuvres ») — Clerambault entendit sa femme qui interpellait violemment Rosine : celle-ci parlait de soigner des blessés ennemis, et Mme Clerambault s’en indignait, comme d’un crime.