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LA FORCE

Michel-Ange se tait ; mais il sculpte la Pietà :[1]

Sur les genoux de la Vierge, immortellement jeune, le Christ mort est couché, semble dormir. La sévérité de l’Olympe flotte sur les traits de la pure déesse et du Dieu du Calvaire. Mais une mélancolie indicible s’y mêle ; elle baigne ces beaux corps. La tristesse a pris possession de l’âme de Michel-Ange.

Ce n’était pas seulement le spectacle des misères et des crimes qui venait l’assombrir. Une force tyrannique était entrée en lui, pour ne plus le lâcher. Il était en proie à cette fureur de génie, qui ne lui permit plus de souffler jusqu’à la mort. Sans illusions sur la victoire, il avait juré de vaincre, pour sa gloire et pour celle des siens. Tout le poids de sa lourde famille reposait sur lui seul. Elle l’obsédait de demandes d’argent. Il en manquait, mais il mettait son orgueil à ne jamais refuser : il se serait vendu lui-même, pour envoyer aux siens l’argent qu’ils réclamaient. Sa santé s’altérait déjà. La mauvaise nourriture, le froid, l’humidité, l’excès de tra-

  1. On a toujours dit jusqu’à présent que la Pietà fut exécutée pour le cardinal français, Jean de Groslaye de Villiers, abbé de Saint-Denis, ambassadeur de Charles VIII, qui la commanda à Michel-Ange pour la chapelle des rois de France, à Saint-Pierre. (Contrat du 27 août 1498). M. Charles Samaran, dans un travail sur la Maison d’Armagnac au XVe siècle, a établi que le cardinal français, qui fit sculpter la Pietà, fut Jean de Bilhères, abbé de Pessan, évêque de Lombez, abbé de Saint-Denis. Michel-Ange y travailla jusqu’en 1501.

    Une conversation de Michel-Ange avec Condivi explique par une pensée de mysticisme chevaleresque la jeunesse de la Vierge, si différente des Mater Dolorosa sauvages, flétries, convulsées par la douleur, de Donatello, de Signorelli, de Mantegna, et de Botticelli.

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