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Page:Rosny aîné - Les astronautes - 1960.djvu/111

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LES NAVIGATEURS DE L’INFINI

— Le Stellarium est sain et sauf. À aucun moment, il n’a subi le moindre dommage et c’est bien ce qui m’a sauvé. Il a suivi inflexiblement la ligne droite.

— Alors l’accident vient de toi ?

— Oui, moi. Un accident stupide. J’avais la gorge irritée ; au lieu du remède, j’ai pris par mégarde un soporifique. Je suis très sensible à ces drogues. Enfin une de ces erreurs qui ne pardonnent pas. Quand je me suis réveillé, il m’a fallu quelque temps pour comprendre. En somme, j’ai bien failli nous condamner tous ! Je vous demande bien humblement pardon.

— Tu ne le mérites pas ! » dit Jean, qui a repris sa bonne humeur naturelle.

Ce fut un des grands moments de nos existences. Nous demeurâmes quelque temps silencieux, dans un accablement de bonheur. Jamais je n’avais plus profondément perçu nos faiblesses individuelles, devant l’énorme puissance de l’Humanité. Nous étions les mêmes créatures chétives qu’aux temps où les ancêtres luttaient sans trêve pour leur subsistance, au sein d’un monde où les vivants se dévoraient les uns les autres, où la plaine et la forêt retentissaient sans relâche de cris d’agonie.

Si tout cela s’est évanoui, si notre espèce triomphe insolemment de ses anciens rivaux, si les plus forts ne vivent que par le bon vouloir des triomphateurs, chacun des composants de cet ensemble prodigieux n’est qu’un peu de fumée, mais cet ensemble, à son tour, n’est qu’une nuée fugitive.