Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/20

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au parapet, entre deux caisses de bouquinistes, regrette les eaux du Vidourle. Ici, l’eau n’est pas assez claire, elle est trop agitée ; parmi la bousculade des quais la tête lui tourne ; au quartier Latin le cœur lui manque ; il a le mal du pays ; il part ; il veut retourner mourir en Languedoc… et il s’arrête en Touraine, chez la marquise de Rochemore.

Cette marquise est une des deux tantes qui l’ont élevé. Elles étaient deux, deux marquises : la marquise de Rochemore et la marquise d’Argens. Ces deux anciennes dames d’honneur de la duchesse d’Angoulême avaient pris dans leurs mains longues le cœur de l’enfant qui venait jouer chez elles aux vacances, et l’avaient rêveusement façonné. Auprès de ces deux femmes de la plus sentimentale vertu, le sauvage échappé des garrigues apprenait toutes les grâces morales, en aidant à dévider des écheveaux de laine. Elles lui brodèrent doucement l’esprit, sous la lampe. Aux fins rayons du soleil tourangeau, elles lui dessinèrent dans l’âme un joli jardin à la française. Si bien que cette bague de Louis XVIII, couverte de devises, qu’il portait en breloque, ne mentait pas lorsqu’elle disait en se balançant sur son gilet : « Ma vie au Roy ! L’honneur à moi ! — À Dieu mon âme ! Mon cœur aux dames ! » Oui, le cœur de M. de Bornier fut toujours aux dames. Reconnaissant admirateur d’un sexe auquel il devait ses éducatrices, il ne cessa jamais de plaindre « l’esclave éternelle »,

La femme, ange déchu, meurtri, traînant son aile !
… Fille, un mari l’achète au père qui la vend ;
Veuve, son fils, son frère, un étranger souvent