Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/455

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lations des autres sur le blé, le vin, le cidre, les cocons, la soie filée, &c. ruinent le pays qu’ils habitent. Si le commissionnaire étoit purement négociant, spéculateur, commerçant, le mal seroit moins grave ; 1°. parce qu’il payeroit comptant ce qu’il acheteroit, ou bien il y auroit des termes fixés pour les paiemens ; & le misérable vendeur, obligé de passer par ses mains, ne seroit pas forcé d’attendre souvent plus de douze, quinze à dix-huit mois son paiement. 2°. Cet homme devroit se contenter du droit de commission qui lui est alloué par celui qui le commet pour ses achats : souvent, au contraire, il retient un droit de commission sur le vendeur, & passe à son commettant le vin, la soie, &c., à un prix plus haut que celui de la vente. 3°. Pour gagner encore plus, il envoie des effets de seconde qualité, à la place des effets de première, &, le plus souvent, fait un mélange de première, de seconde, de troisième, &c. Le commettant se plaint, le commissionnaire se récrie sur la mauvaise qualité des denrées de l’année, occasionnée par les pluies, par la sécheresse, &c. & emploie mille autres subterfuges semblables. Enfin, les productions d’un canton perdent de leur réputation ; ni commettans, ni commissionnaires n’en demandent plus, & on ne sait plus comment s’y prendre, afin d’avoir un débouché de ses récoltes. Voilà donc, par exemple, le vin de telle paroisse, de tel canton, décrédité, quoique de très-bonne qualité : c’est ce que demande le commissionnaire. Alors il le fait acheter par-dessous main, petit à petit, à très-bas prix, & le vend très-cher à son commettant, pour du vin de tel ou tel autre crû. Je parle d’après ce que j’ai vu, non pas une fois, mais mille : on peut m’en croire ; je suis prêt à donner les preuves les plus authentiques de ce que j’avance.

N’existe-t-il donc aucun moyen d’arracher le pauvre & simple cultivateur des serres de ces vautours ? Cela est difficile, mais non pas impossible, si les seigneurs de paroisses, les curés & les principaux habitans se réunissent, & concourent ensemble à établir une espèce d’association. Ce que je vais dire, paroîtra peut-être une rêverie ; mais elle sera celle d’un homme qui déteste l’oppression, & dont toute l’ambition se borne à voir le cultivateur moins malheureux.

Les denrées, & le vin sur-tout, se consomment, ou dans le royaume, ou bien on les exporte chez l’étranger : la consommation intérieure se réduit à l’approvisionnement des villes voisines, & de la capitale, qui absorbe tout l’argent du royaume, & dont les provinces en retirent, par parcelles, une modique partie. L’exportation des vins a pour objet l’approvisionnement des colonies & le nord de l’Europe : celle des blés regarde plus particulièrement les pays méridionaux & les colonies.

1°. Consommation intérieure. Je suppose que le seigneur d’une paroisse, dans un pays de vignoble, dont le vin est de qualité, s’entretienne avec le curé du lieu & les principaux habitans, & leur dise : Il faut secouer le joug écrasant des commissionnaires, & vendre directement nos récoltes. Nous y gagnerons, 1°. le droit que nous payons aux commissionnaires ; 2°. celui qui leur est payé par leurs commettans ; 3°. le bénéfice qu’ils sont sur leurs commettans.