Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/662

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manquent, il y a donc trop de terrein cultivé en France, puisque chaque propriétaire a la manie d’en exploiter toujours à la hâte, & par conséquent mal, la plus grande étendue possible. Que gagne donc le gouvernement, dans les défrichemens, en général, qui n’augmentent pas le nombre des propriétaires ? Rien, & encore rien.

Tout terrein inculte, en France, appartient ou au roi ou au gens d’église, ou au seigneur du lieu, ou aux communautés, ou à de grands tenanciers.

S’il appartient au roi, que de démarches, que de formalités à remplir, avant d’en avoir la concession ! & l’habitant de la campagne ne saura comment s’y prendre, ni à qui s’adresser pour l’obtenir. Le riche propriétaire connoîtra la porte à laquelle il faut frapper, & comment il faut y frapper ; il obtiendra, pour lui seul, ce qui auroit fait le bonheur de vingt journaliers qui seroient devenus tenanciers. Le grand propriétaire destinera souvent son immense concession à la vaine pâture de ses troupeaux, ou, s’il la cultive, elle ne rendra jamais le quart de ce qu’elle auroit rapporté entre les mains de ces vingt journaliers, parce qu’il n’y a que les petits héritages qui soient bien cultivés.

Les gens d’église n’aiment point à inféoder ; & l’édit qui leur a défendu d’acquérir, auroit dû leur permettre de vendre : de temps à autre une partie de leurs biens seroit rentrée dans la masse de ceux de la société, au lieu qu’ils en sont irrévocablement séquestrés.

Lorsqu’on leur parle de défricher, ils répondent : nous ne sommes pas assez riches. Inféodez donc ! Nous ne le ferons pas, parce que, peut-être un jour, nous ferons cultiver. Ainsi, d’une manière ou d’une autre, le terrein reste en friche. Cependant cela vaut mieux que s’ils faisoient de grandes inféodations à de grands propriétaires ; ils diminueroient le nombre des bras des environs, au lieu qu’en inféodant par petites parcelles à de simples journaliers, ils isolent à leurs journées, comme par le passé, & malgré cela ils trouveroient encore le temps de bien travailler leurs petites possessions : j’en ai mille exemples sous les yeux, & je puis dire que le produit de ces petites possessions fait honte aux nôtres. La vraie richesse de l’état est dans les petites possessions ; c’est elles qui assurent les plus forts produits : celles qui sont grandes & très-grandes nuisent au bien de la société.

Si le terrein appartient au seigneur, toujours affamé d’argent, il veut vendre ; & comme tous les tenanciers ont autant de terre qu’ils en peuvent travailler, personne ne s’empresse d’acheter du mauvais terrein, & peut-être encore à des conditions très-onéreuses. Je dirois au seigneur : Vous devez, par état, être le père, l’appui, la ressource des malheureux habitans de votre terre : choisissez les plus pauvres journaliers, les plus chargés d’enfans & les plus honnêtes ; divisez vos friches en plusieurs lots, & cédez-leur-en la propriété sous une modique redevance annuelle, dont le premier paiement commencera quatre ou six ans après le jour de la concession : ils béniront la main qui assure leur subsistance ; & cette main, qui paroît si bienfaisante,