Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on veut généraliser, on se trompe & on trompe les autres.

J’ose dire que, d’après cette manière de juger, j’ai toujours observé que le même grain semé plusieurs années de suite dans les mêmes champs s’y détériore, même malgré l’avantage des bonnes saisons. Il y a peut-être des exceptions à cette assertion générale, & c’est sans doute ces mêmes exceptions qui ont décidé à regarder comme inutile le changement de semences ; mais en bonne logique, des exceptions ne font pas loi, puisque nulle règle sans exception. Il n’est pas douteux que dans ces cas, que j’admets comme vrais, de nouvelles semences auroient produit du plus beau blé. Il est inutile d’insister plus long-temps sur l’acquisition de nouveaux grains, sur le changement de semences ; puisque c’est un point de fait généralement reçu, non-seulement en agriculture, mais encore dans la pratique constante du jardinage.

Section II.

D’où faut-il tirer les semences ?

Il est constant que telle ou telle espèce de froment se plaît plus dans un terrain que dans un autre ; c’est donc le premier point que le cultivateur doit considérer & connoître. Il est bien difficile qu’un métayer, qu’un propriétaire instruits ne parcourent, pendant que les blés sont sur pié, quelques-unes des paroisses limitrophes à trois ou quatre lieues à la ronde. Dans ces petits voyages il examinera le grain de terre & la nature du blé, & dès qu’il y rencontrera de l’analogie avec son champ & le grain qui y réussit le mieux, il ne doit pas balancer à acheter la quantité de blé qui lui convient, dût-il le payer même un peu plus cher qu’il ne vendra le sien.

Je me garde bien de conseiller de tirer des blés des provinces éloignées : 1°. on ignore la qualité du sol qui les a produits ; 2°. le climat est à coup sûr différent, & par conséquent le grain peut souffrir de cette transition trop subite. (Voyez le mot Espèce) Par exemple, le blé de Barbarie ou de miracle, transporté subitement du midi au nord, y craint l’effet des gelées plus que tous les autres fromens. Afin de ne pas en courir les risques, on a essayé de le semer en même temps que les marsais, & la récolte a manqué ; mais en acclimatant progressivement ce blé, il prospérera tout aussi bien dans nos provinces septentrionales qu’aujourd’hui près de Pézenas, où il est mis en culture réglée. On doit convenir cependant qu’il arrive parfois des transitions heureuses, mais elles sont rares ; & le cultivateur est en général trop pauvre, trop chargé d’impôts, pour s’engager à faire des expériences coûteuses, souvent sans utilité, & plus souvent encore avec perte réelle. C’est aux riches propriétaires des provinces, aux chapitres, aux gens de main-morte, à faire ces essais ; ils deviendront les bienfaiteurs d’un pays dont ils tirent le revenu le plus clair, presque toujours sans avoir semé.

En général, on ne risque jamais rien de prendre des blés dans un pays sur un sol plus maigre que celui où l’on doit semer ; le grain gagne dans ce dernier ; mais si du sol riche on le transporte dans un sol maigre, l’espèce dégénère, parce