Page:Ryner - Les Esclaves, 1925.djvu/16

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Agnès. — Tu mens. Jésus est la source d’amour et de paix.

Stalagmus. — Jésus est longtemps une source d’amour et de paix. Mais je vois peu à peu l’agitation des hommes troubler la fontaine limpide. Voici qu’ils en ont fait une source de haine. Les uns disent le Galiléen presque aussi dieu que Dieu. Les autres le proclament aussi dieu que Dieu. Querelles de paroles obscures et qui se heurtent comme chauves-souris dans les ténèbres. Coups de bâtons. Puis larges et longues guerres.

Tyndare. — Regarde aussi loin que tu voudras. Il y aura toujours des guerres et il y aura toujours des esclaves.

Stalagmus (avec le geste qui impose le silence). — Je vois un temple étrange. Une architecture de folie dresse de hautes voûtes ruineuses. Pourtant non, elles ne tombent point. Une sorte de cuve somptueuse s’élève plus haut que la tête des gens qui sont là. Un prêtre est dedans, debout et qui parle.

Agnès. — Un prêtre chrétien ?

Stalagmus. — Un prêtre chrétien.

Agnès. — Que dit-il ? Oh ! tâche de l’entendre.

Stalagmus. — Attendez… attendez… A travers les siècles, quelques-unes de ses paroles, il me semble, parviennent assourdies jusqu’à moi. « Mes frères, dit-il, nous célébrons aujourd’hui, dans la résurrection de Jésus la résurrection de l’humanité. Grâce à notre doux maître, il n’y a plus d’esclaves. »

Agnès. — Gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux.

Stalagmus. — Ceci est loin… très, très loin. Pourtant, dans l’assemblée qui écoute, j’aperçois quelques descendants reculés de la chrétienne.

Agnès. — Ils sont heureux parmi leurs frères. Ils sont les égaux de leurs frères.

Stalagmus. — Ils vont grelottant sous des haillons. Mais quelques-uns, parmi leurs frères, ploient sous des vêtements qu’alourdissent l’or et les gemmes. Ils sont maigres, hâves, tremblants de faim autant que de froid. Mais plusieurs, parmi leurs frères, sont malades de trop manger.

Agnès. — Tu ne dis pas un monde chrétien.