Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/33

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élevé de l’ordre, de l’immuable paix, où la vie marche d’un cours égal et harmonieux au sein d’une sécurité bienheureuse, né pour le bonheur de tous, pour se perfectionner lui et les autres, un tel homme ne formera point d’ignobles vœux, ne connaîtra point les larmes, et, appuyé sur la raison, il traversera les vicissitudes humaines avec un courage tout divin. Il n’a point place pour l’injure : de qui la recevrait-il ? Des hommes ? pensez-vous. Non, je dis plus : pas même de la fortune ; car toutes les fois qu’elle entre en lutte avec la vertu, elle n’en sort jamais son égale. Si cette heure suprême au delà de laquelle ne peuvent plus rien les lois irritées ni les menaces des plus cruels tyrans, et oîi l’empire de la fortune se brise, est acceptée par nous d’une âme égale et résignée ; si nous savons que la mort n’est point un mal, et, par conséquent, est bien moins encore une injure, nous endurerons beaucoup plus aisément le reste, dommages, souffrances, ignominies, changemens de lieux, pertes d’enfans, séparations de toute espèce. Ces calamités, quand elles tomberaient toutes à la fois sur le sageI9, ne l’abattraient point ; ce n’est pas pour que leur choc isolé le consterne. Et s’il supporte sans faiblesse les injures de la fortune, que lui feront celles des hommes puissans, qu’il sait n’être que les agens de la fortune ?

IX. Il souffrira donc tout, comme il souffre les rigueurs de l’hiver, l’intempérie du ciel, les chaleurs excessives, les maladies, mille autres accidens fortuits. Jamais il ne fait au méchant l’honneur de croire que la raison ait conseillé un seul de ses actes : la raison n’appartient qu’au sage ; tous les autres manquent de ses conseils ; on ne voit en eux que fraudes, embûches, passions fougueuses, mises par le sage sur la liste des accidens.